Un triomphe dans tous les domaines pour cette nouvelle production véronaise, pourtant interrompue par la pluie pendant près d’une heure. Le premier triomphateur de la soirée, c’est avant tout l’énorme et astucieux décor et la mise en scène de Pier Luigi Pizzi, qui ravivent le souvenir des plus grandes réalisations véronaises. Une énorme double colonnade tourne sur elle-même pour dégager un vaste espace central où officie Ulrica, dans une scène de mystère digne de Cagliostro, et où se déroule le bal masqué final. De chaque côté, deux pavillons abritent l’un le bureau de Riccardo, l’autre l’appartement de Renato ; tournant eux aussi sur eux-mêmes, ils deviennent quand nécessaire de sombres pavillons de jardin enverdurés. Ce dispositif présente de multiples intérêts : bien clarifier l’action, donner à voir de plus près aux spectateurs des deux côtés de l’arène, et servir de réflecteur de voix pour les scènes plus intimistes. Le résultat est confondant de beauté et d’efficacité.
Pizzi a déjà monté Le Bal dans une transposition dans l’Amérique des années 60, dont la dernière version a été présentée en 2011 à Macerata (festival que Pizzi a hissé au plus haut niveau international pendant ses six années de direction). Ici, au contraire, il se replonge dans la version qu’il préfère, celle qui se passe à Boston, future capitale du Massachussetts, dont il évoque la vie facile et insouciante des classes aisées au moment de la Boston Tea Party de 1773. Une profusion de costumes somptueux anime une mise en scène d’une grande lisibilité ; car il faut convenir qu’un spectacle conçu par un tel décorateur-architecte-metteur en scène bénéficie d’une unité parfaite entre tous ses éléments constitutifs, dont les intentions se complètent harmonieusement.
Second triomphateur, Stefano Secco, qui ne cesse de confirmer ses qualités de grand ténor verdien (et donizettien). On ne peut que répéter les commentaires qui listent toutes ses qualités : musicalité, raffinement, intelligence du texte, voix puissante à la fois incisive et nuancée, il fait merveille dans le rôle de Riccardo et confirme qu’il est, dans ce type d’emploi, l’un des meilleurs du moment. De plus, sa présence scénique est parfaitement équilibrée et s’impose naturellement.
Sanja Anastasia © Photo ENNEVI
Troisième triomphatrice, la jeune cantatrice serbe Sanja Anastasia, une magnifique et élégante Ulrica bien éloignée des ridicules matrones hystériques et poitrinantes que l’on a trop vues dans ce rôle. La prestance est naturelle, la voix est puissante et égale dans tous les registres, bref, elle donne à ce rôle un peu ingrat un intérêt renouvelé.
Quatrième triomphateur, enfin, le jeune chef véronais Andrea Battistoni, espèce de lutin bondissant, dansant sans arrêt, sautant, levant les bras très haut pour donner tous les départs aux chanteurs. Il n’est certes pas de ces chefs guindés et hautains ! Nous l’avions vu à Macerata en 2011 diriger Rigoletto : il a depuis entamé une brillante carrière internationale, et il est certainement l’un des chefs lyriques les plus à suivre dans les années qui viennent : sa direction semble subjuguer l’orchestre, qui sonne incomparablement mieux que la veille avec un autre chef. Le plateau se sent également en grande sécurité et peut ainsi donner le meilleur de lui-même, et le résultat est à la fois brillant et précis : de la belle ouvrage.
Que dire du reste, sinon que les autres principaux protagonistes Dalibor Jenis (Renato), Virginia Tola (Amelia) et Natalia Roman (Oscar) sont de bonne tenue et complètent parfaitement la distribution, que les seconds rôles sont de bonne qualité et que les chœurs des Arènes n’ont jamais été aussi brillants.