La cause est entendue : l’Opéra Éclaté, compagnie nationale de théâtre musical, a pour misions d’animer le territoire régional, de faire des tournées nationales voire internationales et de développer des actions artistiques et pédagogiques en direction de tous les publics. Dans ce dernier cadre, adapter une œuvre pour la rendre plus « digeste » est certainement acceptable. D’autres l’ont souvent fait avec des arguments moins convaincants, mais des réussites incontestables (à Lyon, Des Contes d’Hoffmann ; Peter Brook, aux Bouffes du Nord, avec La Tragédie de Carmen et Impressions de Pelléas). Ici, des éléments de la pièce de Beaumarchais (joués en français) sont agrémentés de la plus grande partie des airs et des ensembles de l’opéra de Rossini, chantés en italien. Côté musical, un petit orchestre de 6 musiciens, accompagnés d’un piano, soutient le plateau. Ce n’était pas sans inquiétude, je dois l’avouer, que je m’étais décidé à assister au spectacle, tant ce type d’arrangement est risqué, et tant l’œuvre a été vue et revue avec les plus grands. Eh bien, ça marche, et même fort bien.
La recette est simple : de jeunes chanteurs de très grande qualité, tant du point de vue vocal que théâtral, à la diction parfaite ; une adaptation musicale légère et bien menée (excellents musiciens et direction depuis le piano de Corine Durous) ; un décor original et des costumes pittoresques et bien en situation, une mise en scène vive et pleine de drôlerie, les ingrédients sont tous là, reste à faire prendre la sauce. Cela, c’est le travail des acteurs. Dès les premières entrées de Figaro et d’Almaviva, on sait que le pari est gagné, tant le contact avec le public est immédiat et évident. Dès lors, on n’a plus qu’à se laisser porter, et à rire de bon cœur aux mésaventures du barbon (mal)mené par tout son entourage. Et là, Olivier Desbordes s’en est donné à cœur joie, en jouant à fond le côté farce et commedia dell’arte.
L’action se déroule devant le mur d’une maison percée de six fenêtres ; est-on, selon le moment, dedans ou dehors ? Cela n’a guère d’importance, car les personnages passent d’un côté à l’autre avec une telle vivacité que l’on perd vite la notion du lieu ; les volets claquent, s’ouvrent et se ferment comme dans la publicité d’une grande marque de parfum, des inscriptions fleurissent, l’action ne faiblit pas un seul instant. Les sources comiques sont multiples, mais l’on pense bien sûr au « slapstick » et à Laurel et Hardy (le jeu de mains, Bartolo en haut de l’échelle, ainsi que sa descente…). Et Rosine en train de repeindre la maison est un moment de grande drôlerie. Mais le drame est tout aussi bien vu, tout particulièrement dans l’air de Bartolo. Enfin, le côté opéra-bouffe est également bien pris en compte, comme par exemple dans le duo entre Bartolo et Almaviva déguisé en soldat. Si bien que l’entracte vient surprendre tout le monde.
Or l’entracte aussi est un moment exceptionnel : la conjonction de la beauté du lieu (la cour du château de Montal), de la qualité du spectacle et du public venu le voir est totale, et se retrouve aussi bien dans un simple sourire échangé, que dans un grand éclat de rire avec ces Anglais qui dînaient aux chandelles, table et fauteuils dressés comme même à Glyndebourne on ne saurait le faire… So British… Car il ne faut surtout pas manquer le pique-nique éclairé aux bougies au pied du château, sous l’œil vaguement réprobateur du chien du gardien (oh, je sais, je parle sans cesse de bouffe, mais que voulez-vous, musique et bonne chère vont de pair, et un bon verre de vin ajoute encore à la connivence de l’assemblée !) ; tables et sièges ont été installés pour l’occasion (un grand coup de chapeau à tous les organisateurs et bénévoles de ce moment festif et si sympathique), et de délicieuses spécialités locales sont dégustées de bon appétit. Ah, Olivier Desbordes, omniprésent, frappe dans ses mains pour indiquer la fin de l’entracte : en route pour le second acte qui va reprendre sur le même rythme endiablé.
Les chanteurs-acteurs sont vraiment épatants, et il convient de les citer tous : Hermine Huguenel est une Rosine appétissante, rusée, malicieuse, au beau timbre de mezzo colorature et aux vocalises impeccables ; Mathias Vidal, à la jolie voix de ténor rossinien, vocalise également avec brio, et n’est pas sans rappeler Luigi Alva jeune ; pour ce qui est des vocalises, je n’en dirai pas autant de Lorenzo Arcaro, qui chante également le Figaro des Noces : Rossini n’est pas Mozart et, du point de vue technique, est certes plus difficile ; mais ce filou de Figaro compense par un jeu endiablé tout en finesse, et garde la haute main sur l’action ; Christophe Lacassagne est un Bartholo bien dans la tradition, à la fois drôle et pitoyable, et vocalement convaincant ; quant à Jérôme Varnier, il campe un Basile plus désopilant que vraiment inquiétant, très au second degré : voix splendide, haute stature, gestes amples et mains expressives, et plus encore sourire enjôleur à la Patrick Bouchitey de La Vie est un long fleuve tranquille, il propose une nouvelle lecture de ce personnage habituellement un peu trop stéréotypé. Cécile Limal est une Berta jeune et délurée, de l’âge de Rosine, ce qui est également inhabituel : elle en pince pour Figaro, qui le lui rend bien ; malheureusement, après une scène de l’orage très réussie, son air a été coupé ; enfin, Alain Herriau est un comparse au niveau de l’ensemble. Mais le plus étonnant, c’est encore la capacité qu’ont tous ces excellents chanteurs à passer du chanté au parlé et à jouer la comédie, à trouver le ton juste et à égaler les plus grands ; ne croirait-on pas, un moment, entendre Jean Meyer dans le rôle de Figaro ?
Bref, une représentation exemplaire mêlant théâtre et opéra, un bon moyen pour ceux qui ne l’oseraient pas de prime abord, d’approcher le genre lyrique. Donc, un spectacle à découvrir ou à retrouver avec bonheur lors de la tournée qui le mènera à travers la France entre octobre 2008 et mai 2009 (voir le détail sur le site).
Jean-Marcel Humbert