« Ici le temps devient espace1 » a beau prophétiser Gurnemanz au premier acte de Parsifal, il n’empêche qu’en version de concert, l’ultime chef d’œuvre de Richard Wagner peut sembler parfois long2. Et ce n’est pas Kent Nagano que l’on rendra responsable de l’ennui que l’on ressent sporadiquement durant les cinq heures trente que dure cette soirée au Théâtre des Champs-Elysées (dont une heure d’entracte). Au contraire, le directeur musical de la Bayerische Staatsoper opte pour une lecture puissamment théâtrale qui tente d’animer un scénario immobile. Mais, au risque d’être accusé de blasphème, le fatras religieux dont Wagner a encombré le livret de Parsifal ne fixe pas toujours l’attention et les récits interminables qui ouvrent le premier et le troisième acte n’aident pas à faire passer la pilule. Puis, quel sens donner à une partition dont les clés d’interprétation sont multiples : oratorio, festival sacré, opéra ? On l’a dit, c’est ce dernier choix que fait le chef d’orchestre (et peut-être est-ce la raison pour laquelle nous avons ressenti aussi fortement l’absence de représentation scénique).
Un choix qui, compte tenu de l’architecture de l’œuvre, la dresse comme une arche magnifique dont le duo entre Kundry et Parsifal forme le sommet. Avec, comme toujours dès qu’il y a parti pris, le revers de la médaille : on perd indéniablement en mystère ce que l’on gagne en passion. Ce renoncement à une certaine forme de célébration mystique se fait sans concession à la beauté d’une partition dont on ne vantera jamais assez les prodiges sonores. S’il y a miracle d’ailleurs, c’est à l’Orchestre de la Staatsoper de Munich qu’on le doit. Evidemment, la formation bavaroise dialogue ici dans sa langue maternelle. L’on n’est pas près pour autant d’oublier l’éclat de cuivres qui feraient passer les trompettes d’Aïda pour un orphéon de sous-préfecture. Mention spéciale aussi au timbalier dont le nom ne figure pas dans le programme mais qui donne l’impression que son instrument possède une palette de sons inépuisable.
On sera plus réservé sur le Chœur de la Staatsoper. Si les pupitres masculins se hissent au même niveau que l’orchestre, les voix féminines en coulisse au premier acte et durant la scène des filles fleurs au second sont loin d’atteindre la plénitude que, par comparaison, l’on serait en droit d’attendre. Les filles fleurs apparaissent elles aussi bien inégales, certaines pulpeuses, d’autres au contraire acides sans que l’on parvienne à séparer dans leur babillage le bon grain de l’ivraie.
L’inégalité plus généralement caractérise la distribution. On placera du mauvais côté de la balance le Titurel cacochyme de Steven Humes et le Klingsor de John Wegner, superbe de timbre mais dont le chant s’assimile avant la lettre à un sprechgesang qui n’a rien à voir avec Wagner. A l’opposé, on trouve le Gurnemanz irréprochable de Kwangchul Youn, grand habitué de Bayreuth, et l’Amfortas saisissant de Michael Volle, baryton héroïque qui, de sa voix puissante, réussit à traduire la force et la faiblesse du roi du Graal.
Entre les deux, Angela Denoke offre de Kundry un portait monstrueux auquel on ne peut rester insensible. Les notes sont souvent attaquées en dessous, puis vrillées ou poussées comme des hululements. L’extrême aigu apparaît hors de portée, exception faite du Si de « lachte » (« j’ai ri ») qui frappe juste, en plein cœur. Mais l’engagement, indéniable, force l’admiration.
Le Parsifal de Nikolai Schukoff combine lui aussi le bon et le moins bon : des défauts d’intonation, un timbre trop sombre, un manque de rayonnement vocal, des effets pas toujours aboutis (une tentative d’allègement réussie au troisième acte puis une autre échouée), un aigu au bord de la crise de nerf mais une implication comparable à celle de sa partenaire qui laisse un sentiment mitigé. A l’image finalement de cette soirée.
1 « Zum Raum wird hier die Zeit ». Pour beaucoup d’exégètes, cette sentence de Gurnemanz livre la clef de Parsifal. On abandonne le monde temporel – celui des hommes – pour le monde spirituel – celui de Dieu.
2 L’intitulé donné par Wagner à Parsifal – Bühnenweihfestspiel – plaide en faveur d’une représentation scénique (Bühne veut dire scène en allemand).