Ce concert en duo devait réunir à l’origine Ludovic Tézier et Marina Poplavskaya. La soprano russe, appelée à remplacer sa collègue Angela Gheorghiu en Marguerite au MET, a finalement laissé sa place au ténor maltais Joseph Calleja.
Rien que de très classique jusque là me direz vous. Pourtant cette soirée se révèle riche en surprises.
Par son final d’abord, très novateur, voire absolument inédit : « Pourquoi me réveiller », extrait de Werther, en duo baryton et ténor… Le résultat (visiblement improvisé à la dernière minute) n’est pas déplaisant, même si pour l’orthodoxie il faudra repasser !
Constituent également une curiosité les airs bissés en cours de concert. C’est Joseph Calleja qui lance l’offensive avec un « E lucevan le stelle » qui électrise littéralement le public : ce dernier réclame à grands cris un bis, que le chanteur accorde sans façons. Il est vrai que le ténor offre dans cet air la quintessence de son art, voix ronde et puissante, émission haute sans aucune dureté. On est surtout impressionné par son apparente facilité : on retiendra en particulier un aigu diminuendo bluffant, qu’il renouvellera sans problème dans sa seconde exécution. On est clairement ici plus proche d’un Caravadossi modèle Pavarotti que Corelli ! Pourtant le côté solaire du chant a ceci de gênant qu’il peut à la longue légèrement lasser ; on cherchera ici en vain l’ombrage salutaire ou le recoin saillant. Son Riccardo de Luisa Miller manque ainsi de relief, surtout dans le monologue introductif, privé de son caractère vindicatif. L’écriture « di grazia » des Pêcheurs de perles lui convient davantage (n’était le français, perfectible, nous y reviendrons). De même, le vibrato assez discret en début de concert deviendra parfois envahissant en seconde partie, particulièrement dans l’air de Roméo et Juliette. Mais ce sont là des broutilles au vu de la performance générale.
Ludovic Tézier est annoncé souffrant et, de fait, on le sent terminer le concert à l’énergie, ne pouvant éviter un léger accident dans le duo des Pêcheurs de perles. Cela ne doit cependant pas faire oublier une prestation marquante. A son entrée en Renato du Bal Masqué le chanteur affiche un visage crispé. Pourtant l’incarnation fonctionne immédiatement, transmettant la rage et la douleur du mari bafoué. On sent que le chanteur a fréquenté à la scène les personnages de Renato, Rigoletto et Posa. Du baryton verdien il a le mordant, la ligne incisive, et une certaine noirceur de timbre qui conviennent particulièrement à ces êtres torturés. L’air « Cortigiani, vil razza dannata… » nous donne envie de l’entendre plus longuement en bouffon du Duc de Mantoue. Le répertoire français le trouve évidemment à son aise, la diction parfaite ressortant face au français compréhensible mais parfois bizarre de son compère du soir (dont des « r » alternativement gutturaux ou roulés sans logique apparente). Poussé dans ses retranchements par le bis accordé par Joseph Calleja il bisse à son tour le « Pourquoi me réveiller » version baryton. Cela aura peut-être desservi la fin du concert : l’air de Zurga est de haute volée mais on l’imagine pouvoir être encore plus fouillé et engagé.
Et les duos ? C’est la petite déception de la soirée. Ils sont bizarrement totalement absents de la première partie. L’extrait de La Bohème après l’entracte rétablit l’équilibre. Pourtant on n’assiste pas à la démonstration de complicité qui accompagne habituellement l’exercice, question d’osmose des voix sans doute, mais aussi de tempérament. Les chanteurs se connaissent pourtant et ont partagé les mêmes scènes, mais ici chacun reste de part et d’autre du chef, même lors du duo des Pêcheurs de Perles qui appellerait avec ses « jurons de rester amis […] soyons unis jusqu’à la mort » un peu plus d’intimité. En fait le trait d’union est constitué par Frédéric Chaslin, parfait chef accompagnateur. A la tête d’un Orchestre National d’Ile-de-France en grande forme, il ne prend jamais le pas sur les chanteurs, contrôlant au plus près les dynamiques. Si la pâte claire de l’orchestre nous paraît particulièrement à sa place dans le répertoire français, l’ouverture de La force du destin démontre s’il était besoin que les musiciens n’ont en aucun cas à rougir lorsqu’ils s’aventurent hors de nos frontières.