Giuseppe Verdi (1813-1901)
Tobias Richter, nouveau directeur général du Grand Théâtre de Genève, a ouvert sa première saison par un spectacle entièrement conçu et distribué (sauf pour le ténor) par son prédécesseur, Jean-Marie Blanchard. Ouvrage de la maturité de Verdi, complexe, rude et âpre, Simon Boccanegra s’inscrit tout à fait dans la lignée des saisons de Jean-Marie Blanchard.
Passionnante réflexion sur le pouvoir, laboratoire théâtral où Verdi, de la même façon que dans Les Vêpres Siciliennes, tente de mettre sa musique au coeur du drame en innovant constamment, en particulier dans une orchestration qu’Evelino Pidò, comme en juin dernier dans Il Trovatore, magnifie par sa direction. Il est un orfèvre en la matière. Nul mieux que lui pour ciseler, autour des envolées lyriques verdiennes, ces traits acérés et ces aspérités, déployer ces couleurs quasi impressionnistes utilisées de façon très nouvelle par Verdi à plusieurs moments importants de l’oeuvre. L’Orchestre de la Suisse Romande, sous sa baguette, est au meilleur de sa forme (beaux ensembles, solistes épatants, magnifiques dialogues, pendant les airs, entre les vents et les cordes) et le chœur du Grand Théâtre impressionnant comme à l’accoutumée.
Pidò se heurte, cependant, comme le metteur en scène José Luis Gómez, à un livret gauchement adapté de la pièce de Gutiérrez, malgré les améliorations apportées par Boito pour la Scala en 1881, et à une architecture musicale qui, malgré de belles audaces, n’a pas le souffle puissant des Vêpres Siciliennes, ouvrage composé deux ans auparavant. Ce qui explique sans doute les productions assez rares de l’ouvrage (Il n’avait pas été donné depuis vingt ans à Genève).
On attendait beaucoup de cette mise en scène de José Luis Gómez (le spectacle est coproduit avec le Liceo de Barcelone). Nous avons encore dans le souvenir cette extraordinaire production de La Vie est un Songe de Calderón de la Barca au Théâtre de l’Odéon à Paris. Il parvenait, dans une épure sublime, à donner au texte baroque espagnol une actualité et un impact impressionnants. Hélas, à Genève, la mise en scène, plutôt sévère, ne fonctionne guère et la direction d’acteurs, à force de sobriété, ne passe pas la rampe. Elles donnent surtout l’impression que les chanteurs sont laissés à eux-mêmes dans une sorte d’oratorio funèbre qui se joue dans des décors beaux mais glacés (Carl Fillion) où les personnages deviennent presque conventionnels. L’émotion n’est guère au rendez-vous et l’ennuie guette plus d’une fois.
Il s’agissait là de la première et il est évident que le spectacle va se roder au cours des prochaines représentations, que la mise en scène va mieux respirer et que les quelques accrocs techniques, qui ont pu gêner par moments l’exécution musicale, disparaîtront. Cependant avec un plateau d’un aussi haut niveau, aussi homogène et vocalement superbe, le spectacle pouvait d’emblée atteindre d’autres sommets.
Le grand baryton italien Roberto Frontali, dont on ne compte plus les succès sur les plus grandes scènes, a-t-il été gêné par cette rigidité ? Chanteur hors pair et grand interprète du rôle, il semblait en méforme le soir du 9 septembre, le haut médium de la voix ayant tendance à être bas. Le public a dû le ressentir car il n’a pas remporté, aux saluts, le succès escompté.
Krassimira Stoyanova a la voix exacte d’Amelia Grimaldi, charnue, riche, ample et timbrée. La tessiture ne lui pose aucun problème et elle chante ce rôle si difficile avec une aisance confondante et admirable. Dommage, encore une fois que l’émotion soit si retenue.
Giacomo Prestia est la grande basse que l’on sait. Sa voix exceptionnelle sert à merveille le personnage de Fiesco avec beaucoup de sensibilité et de noblesse. Le ténor choisi par Tobias Richter, est le jeune et fougueux Robert de Biasio. Son engagement passionné, les risques qu’il prend, sa voix généreuse et sûre, en particulier dans son dernier air tellement périlleux, donnent une vie singulière à son personnage et emportent l’adhésion du public qui lui a réservé, avec raison, un très grand succès aux saluts. Franco Pomponi, lui aussi, donne une belle consistance au rôle de Paolo. La voix est belle et il chante son air désespéré, à la fin de l’opéra, avec une telle générosité qu’il rend son personnage presque sympathique.
On en oublie les réserves formulées plus haut : on est au Grand Théâtre de Genève et il s’agit d’un spectacle de haut niveau qu’il ne faut pas manquer. Sans compter que les occasions sont trop rares d’entendre, sur scène, Simon Boccanegra.