Génial Offenbach, chantre d’un « spectaculaire Second Empire » que le Musée d’Orsay réhabilite le temps d’une exposition quand on voudrait que ce soit la France qui révise son jugement (le corps de Napoléon III repose toujours en Angleterre, aux côtés de celui de son fils et de son épouse). Son catalogue compte une centaine d’ouvrages lyriques dont de nombreux méritent encore d’être redécouverts, tels Bataclan et son « quatuor chinois », parodie d’opéra italien écrite en charabia qui fait aujourd’hui comme à sa création « rire depuis la première note jusqu’à la dernière », ou encore La Princesse de Trébizonde dont Jean-Christophe Yon, le biographe du compositeur, affirme que « la partition est un chef d’œuvre qui culmine dans un brindisi et un galop irrésistibles ».
Une centaine de pièces, n’est-ce pas suffisant qu’il faille encore en ajouter à son catalogue en commettant ce que les italiens appellent un centone, en référence au mot d’origine latine « cento » qui désigne une pièce d’étoffe faite de morceaux rapiécés. Désireux sans doute de mettre en valeur les meilleures pages d’Offenbach, Gilles Rico les a reliées par des ficelles aussi épaisses qu’absurdes. Un dîner de cons à Paris sous le Second Empire dégénère rapidement en jeux érotiques et anthropophages. La chair reste triste, hélas. Heureusement, au fur à mesure qu’avance le spectacle, l’intrigue se délite et les morceaux s’enchaînent quasiment sans dialogue. N’aurait-il pas mieux valu dans des conditions se contenter d’une version de concert ? Ou, pour donner à apprécier l’art du compositeur, exhumer de la malle aux trésors offenbachiens l’intégralité d’une de ces perles oubliées dont on ne perçoit ici que le fugitif éclat : La Princesse de Trébizonde, Bataclan donc mais aussi Tromb-Al-Cazar, Madame Favart ou La Chatte métamorphée en femme – car on a eu au moins la bonne idée de choisir un grand nombre de partitions méconnues.
© S. Boegly / musée d’Orsay
Reconnaissons cependant que l’arrangement musical de Thibault Perrine pour la dizaine de musiciens des Frivolités Parisiennes n’est pas trop décharné, que la direction allègre de Julien Leroy n’autorise pas de décalage et que les cinq (bons) chanteurs se dépensent sans compter pour donner l’impression qu’ils s’amusent. Toujours impeccable de tenue et de diction, Yann Beuron semble ravi de renouer avec Offenbach quand Franck Leguérinel, également en forme, ne l’a jamais vraiment abandonné. Eurydice est désormais trop légère pour le soprano lyrique de Vannina Santoni et Jean-Sébastien Bou un peu gringalet pour « Scintille diamant » – qui n’a pas été composé par Offenbach mais ajouté lors d’une des multiples révisions des Contes d’Hoffman. Il s’agit néanmoins de véritables chanteurs d’opéra doublés de comédiens capables de dire leur texte aussi bien qu’ils le chantent. L’idéal dans ce répertoire. Même constat pour Antoinette Dennefeld, mezzo-soprano strasbourgeoise qui compte à son palmarès Rosina du Barbier de Séville et Cunégonde du Roi Carotte. Et pourtant, si appréciables soit la qualité des convives, si excellents soient les mets servis, voilà un dîner indigeste que l’on peut décommander sans regret.