Invitez quelques hôtes de marque, installez-les autour d’une table, lancez le débat sur des sujets sensibles et controversés (religion, politique, adultère…), servez… Vous avez tous les ingrédients qui composent le Don Carlos du Staatsoper Berlin, dans la mise en scène intimiste et contemporaine de Philipp Himmelmann.
Si cette production n’a ni le faste ni la solennité d’une reconstitution historique, elle bénéficie néanmoins d’une grande tension dramatique – à l’instar des scènes de dîners dans Les Damnés de Luchino Visconti – obtenue par un décor minimaliste – une table, quatre chaises, un lustre – dont la perception se modifie par un subtil jeu de rideaux, et accentuée par d’austères costumes-tailleurs gris.
Le metteur en scène réussit également à mener à bien la spectaculaire scène de l’autodafé dans le cadre d’une salle à manger. Tandis que nos hôtes se régalent, les sbires du Grand Inquisiteur procèdent à leurs basses œuvres en arrosant d’essence les corps nus des hérétiques suppliciés et en les suspendant par les pieds au dessus des convives. La superposition de ces deux tableaux crée une vision d’une cruauté insoutenable et réalise la symbiose entre l’obscurantisme religieux et l’absolutisme du pouvoir royal.
Cette approche, enfin, a le mérite de tenter d’expliquer l’argument, obscurci par les nombreux remaniements et coupes qu’a connus l’œuvre, en introduisant des saynètes pendant les préludes. Par exemple, au début de l’acte III on surprend Philippe II entretenant une relation adultère avec la Princesse Eboli, ce qui permet de mieux comprendre le sens de la double trahison qu’elle avoue ensuite à Elisabeth de Valois.
De belles surprises aussi en cuisine : sous la baguette de Massimo Zanetti, l’orchestre réalise, comme souvent, un travail irréprochable. Il a le mérite de ne pas accentuer les effets laissant à certains chanteurs la rare possibilité de le submerger. Tel est le cas de Fabio Sartori qui incarne un Don Carlos mémorable – en dépit de son jeu inexistant – grâce à sa puissance d’émission, au tranchant métallique incomparable de son timbre et à ses aigus perforants. René Pape est un Philippe II de haute volée, tant physiquement que vocalemen, avec un chant riche et homogène rendant son personnage écrasant et déterminé. Talmar Iveri (Elisabeth de Valois), dont la ligne mélodique est interrompue par des respirations trop bruyantes, peine à traduire les tourments qui fragilisent son personnage au fil de l’œuvre. Ekaterina Gubanova, très offerte charnellement, fait une Princesse Eboli plus qu’honorable. Sa grande élégance vocale ne parvient cependant pas à répondre à toutes les exigences du rôle. Le baryton mexicain Alfredo Daza est un Marquis de Posa très crédible, qui défend sa partie souvent avec éclat. La basse polonaise Rafal Siwek évidemment très attendue pour son duo/duel avec Philippe ne déçoit pas. Le personnage s’impose naturellement par sa couleur et son jeu. Le moine Tobias Schabel ajoute sa pierre à cet édifice d’impressionnantes voix masculines