Dans un monde lyrique où les chanteurs ont des trajectoires de plus en plus météoritiques, la carrière de Juan Diego Florez fait figure d’exception. Contrairement à maints collègues qui s’y sont brulé les ailes, l’artiste n’a pas cédé à la tentation d’élargir exagérément son répertoire. La contrepartie de cette absence de prise de risques, c’est une voix demeurée intacte au fil du temps, qui a même gagné légèrement en volume sinon en largeur. Plus étonnamment, le chanteur a su conquérir un large public qu’il draine vers le répertoire belcantiste habituellement réservés aux aficionados.
Pour ce premier récital parisien avec piano, le ténor péruvien a composé un programme mêlant airs d’opéra, mélodies et zarzuelas. Si le Cimarosa n’est guère plus qu’un tour de chauffe, les Gluck révèlent les qualités intactes de l’artiste : un phrasé exceptionnel, une belle prononciation française et une vraie souplesse dans les vocalises. On regrettera néanmoins l’absence d’ornementations dans « J’ai perdu mon Eurydice », ce qui peut se concevoir dans l’absolu, mais qui aurait été justifié compte tenu du couplage avec le virtuose « L’espoir renait dans mon âme ».
Les mélodies extraites des Péchés de vieillesses nous laissent un peu sur notre faim. La musicalité est toujours là, mais pas le sens : il manque ici de la variation dans la couleur, de l’intention donnée aux mots. Affaire de préparation sans doute, mais aussi d’épaisseur de timbre, la voix un peu blanche de Florez ne facilitant pas les colorations.
La première partie se conclut par un autre air virtuose, celui de Rodrigo dans l’Otello de Rossini. Disons le tout de suite : Florez est bien loin des splendeurs rossiniennes d’un Rockwell Blake, aux vocalises ciselées et au souffle inépuisable, ou des pyrotechnies hallucinantes d’un William Matteuzzi. Mais, les atouts de Florez sont ailleurs : un timbre séduisant et une urgence imprimée à ce morceau de bravoure, qui entraînent une légitime ovation du public.
On écoute avec plaisir les quatre « espagnolades » qui ouvrent la première partie. Dans ce répertoire néanmoins, les références ne manquent pas et on pourra préférer des voix plus corsées : le timbre chaleureux d’un Carreras, le cuivre d’un Domingo ou le legato d’un Kraus … tous ces artistes qui ont introduit le public européen à ce répertoire.
C’est à Kraus encore que l’on pense en entendant la splendide Fille du régiment ; c’est à Gedda ou à Blake que l’on songe en entendant La Dame blanche (amputée de sa reprise finale piano). Mais si l’on fait abstraction de ces références passées, on ne peut que remercier le ténor péruvien de défendre avec un tel niveau d’excellence un répertoire aussi exigeant. Car si on peut comparer le chanteur à tel ou tel pour chaque morceau, quel artiste est aujourd’hui capable d’assurer un tel programme avec une telle homogénéité de qualité ?
Souffrant d’embarras gastriques (comme lors d’un précédent concert parisien, décidément !), Florez n’offrira qu’un unique bis, mais de toute beauté : le magnifique « Ange si pur » de la version française originale de La Favorite.
Rendez-vous à Garnier dans quelques mois pour une Donna del lago qu’on espère au même niveau.