Concerto Pergolesi
pour le tricentenaire de sa naissance
en collaboration avec la Fondation Pergolesi Spontini de Jesi
Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736)
Luce degli occhi miei
Cantata per soprano, archi e continuo
Salve Regina in Fa min.
Antifona per contralto, archi e continuo
Chi non ode e chi non vede
Cantata per soprano, archi e continuo
Giovanni Paisiello (1740-1816)
Stabat Mater del Pergolese
per quattro voci con l’aggiunta de’ stromenti da fiato
Maria José Moreno, soprano
Hadar Halevy, contralto
Yijie Shi, tenore
Mirco Palazzi, basso
Orchestra Sinfonica G. Rossini
Direction musicale Trisdee Na Patalung
Pesaro, Auditorium Pedrotti, 18 août 2010
Un hommage colorisé
Comme l’année précédente avec Haydn1, le ROF s’autorise une infidélité à Rossini pour célébrer le tricentenaire de la naissance de Giovanni Battista Pergolesi. Une commémoration qui ne s’écarte cependant pas de la droite ligne du festival : il a été choisi pour l’occasion d’inscrire au programme la pièce la plus célèbre de Pergolèse, le Stabat Mater, dans une version réalisée en 1810 par Giovanni Paisiello, compositeur italien connu précisément pour être l’auteur d’un Barbiere di Siviglia (1782), évincé du répertoire par celui de Rossini. CQFD.
Giuseppe Camerlingo, dans le programme, explique que la retranscription d’une partition était monnaie courante à l’époque. Composé en 1735, la popularité du chef d’œuvre de Pergolèse demeurait intacte au début du 19e siècle mais la nécessité de l’interpréter dans diverses circonstances de temps et de lieux motivait régulièrement sa réécriture. Johann Sebastian Bach, notamment, en a repris les principaux thèmes dans son Psaume 51. Giovanni Paisiello, lui, a adjoint aux deux voix d’origine (soprano et alto) deux voix supplémentaires (ténor et basse) et augmenté l’effectif orchestral d’instruments à vents, contrebasses et violoncelles quand l’ensemble était limité initialement à quatre parties (premiers, deuxièmes violons, altos et basse continue). Si Camerlingo y voit la preuve de la vivacité d’une œuvre, le procédé fait, à l’auditeur familier de la version originale, le même effet qu’un film noir et blanc qui aurait été colorisé. En délaissant les clairs-obscurs doloristes pour une polychromie pré-romantique, le Stabat Mater se théâtralise, pire se laïcise. Le hautbois accompagne le doux balancement du « Quando corpus morietur » ; la clarinette introduit le « Quae moerebat et dolebat » ; l’éclat du ténor violente un « Cujus animam gementem » exempt de toute componction et l’« Eia Mater », confié à la basse, empèse le climat au lieu de l’alléger. L’extraversion supplante l’introversion, le profane le sacré dans une démarche qui si elle n’élève pas, ne manque cependant pas d’intérêt. On aurait aimé même que Paisiello se montre encore plus inventif dans la combinaison des voix. Exception faite de l’Amen conclusif qui voit le quatuor enfin réuni, il se contente d’apparier les femmes d’un côté et les hommes de l’autre.
Ce sentiment profane, on le doit également au lieu – l’Auditorium Pedrotti, aussi décoré soit-il, n’est pas une église – et à la direction de Trisdee Na Patalung. Découvert l’an passé dans le cadre de l’Accademia Rossiniana (il dirigeait Il viaggio a Reims), le chef d’orchestre, remarquable de précision dans les attaques, se conforme à la vision de Paisiello, privilégiant le mouvement au recueillement qui prévaut d’habitude. Même constatation pour Yijie Shi, dont l’absence de nuances dramatise une interprétation que l’on préfèrerait plus méditative. L’écriture centrale de sa partie expose la puissance et la couleur sombre de la voix quand, dans ce répertoire, on attendrait d’abord douceur et lumière. Ces caractéristiques nuisent aussi au contraste des timbres entre solistes masculins, le ténor jouant à teintes égales avec la basse. Mirco Palazzi se montre, comme toujours, très à l’aise dans le répertoire religieux (on se souvient de son interprétation du Stabat Mater de Rossini en 2008 et de La Petite Messe Solennelle l’année dernière) mais il ne dispose que de l’« Eia Mater » pour faire valoir l’intensité de son chant. L’alchimie est plus évidente entre Hadar Halévy et Maria José Moreno. La première, somptueuse de sons mais souvent trop placide, s’efface pourtant derrière la seconde. Question de volume comme de présence. Rien ne semble en effet pouvoir faire de l’ombre à la soprano espagnole : lumineuse (même si davantage éteinte dans les graves), attentive (les yeux rivés sur le chef avant chaque départ) et inspirée avec certains effets du meilleur goût (en particulier un morendo divin dans le « Vidit suum dulcem natum »). L’expression, ni trop appuyée, ni trop désolée, touche à la grâce. Des interprétations qui confirment, pour Hadar Halévy comme pour Maria José Moreno, l’impression laissée en première partie par le Salve Regina et la cantate « Chi non ode e chi non vede », l’écriture plus centrale de l’autre cantate – « Luce degli occhi miei » – s’avèrant moins flatteuse pour la soprano.
« Il existe encore d’honnêtes musiciens qui mettent leur plus vive jouissance à rechercher les chefs-d’œuvre des anciens maîtres pour se pénétrer de leur mérite incomparable ; et quand on apporte à cette étude autant de zèle et d’intelligence que l’auteur dont nous allons parler, les travaux qui en résultent ne méritent pas moins d’estime et de reconnaissance que des ouvrages originaux. » Une citation, pour conclure, de Giuseppe Camerlingo dans le programme ? Non une déclaration de Richard Wagner à propos de l’arrangement pour grand orchestre avec chœurs par Alexis Lvoff du Stabat Mater de Pergolèse, précisément. En aurait dit-il autant de Paisiello ?
Christophe Rizoud
1 Cf. le compte-rendu de Brigitte Cormier.