On peut rechercher, dans cette charmante opérette qu’est Un mari à la porte, des attendus et sous-entendus variés, et l’on imagine sans peine ce que Krzysztof Warlikowski en aurait fait. Sans aller jusque là, Anne-Laure Liégeois avait, à Montluçon en 2008, appuyé sur les relations de couple et la goujaterie des hommes. Ce soir, le démarrage, un rien laborieux, laisse perplexe : des masques, un madrigal et une partie de la barcarolle des Contes d’Hoffmann chantée à quatre voix en allemand sont plutôt déconcertants. Mais petit à petit, les choses se mettent en place, et finalement, on en restera au premier degré.
Les mésaventures cocasses façon Labiche de Florestan Ducroquet, qui entraînent deux jeunes femmes très respectables dans ses errements, sont donc contées de manière plaisante. L’histoire est simple : le jeune homme sème les huissiers qui le poursuivent sur les toits en se laissant tomber dans un conduit de cheminée. À peine a-t-il atterri dans une chambre à coucher (tout propre et bien mis comme vous pouvez l’imaginer !), qu’il se trouve nez-à-nez avec deux jeunes femmes : Suzanne, mariée du matin, qui vient de se disputer avec son époux, et Rosita, une amie qui essaie de la raisonner. Quand le mari arrive pour se réconcilier, sa femme ferme à clé la porte de sa chambre, afin de sauver son honneur. Il arrive finalement à entrer, et Rosita lui présente Florestan comme son futur époux : l’honneur est sauf !
Cette œuvre est restée pendant tout le XIXe siècle l’un des grands succès d’Offenbach, fréquemment repris. Musicalement, c’est un régal de huit morceaux dont certains sont restés longtemps très appréciés, comme les lamentations comiques de Florestan « Pour votre honneur, oui je m’immole », et d’autres comme « Tu l’as voulu Georges Dandin » un « tube » hors du temps. La production s’est construite sur un arrangement pour quatuor à cordes, contrebasse et accordéon par les élèves de la classe d’écriture de Fabien Waksman au Conservatoire national de Paris. Ce soir, l’œuvre est donnée avec accompagnement au piano, où Yann Molénat fait montre d’un grand professionnalisme. Mais libre à nous de ne pas avoir apprécié les dérapages contrôlés qu’il imprime à l’œuvre à travers quelques variantes jazzy et dissonances assorties : Offenbach mérite mieux.
Lise Nougier (Suzanne), Cécile Madelin (Rosita) et Léo Vermot-Desroches (Florestan Ducroquet) © Photo Jean-Marcel Humbert
Les quatre interprètes, élèves au Conservatoire national de Paris, comptent déjà à leur actif des débuts de carrière prometteurs. Alors que la représentation était prévue dans le petit théâtre Louis Philippe du palais de Compiègne, ils ont dû être bien déçus, comme tous les spectateurs, d’apprendre que la commission de sécurité avait refusé son aval. Ils ont donc eu bien du mérite à jouer sur un petit tréteau au milieu du public, dans la grande salle de bal, à l’acoustique un peu hasardeuse. La mise en scène de Vincent Vittoz est alerte, même s’il demande beaucoup aux interprètes qui doivent tout au long de l’acte dessiner eux-mêmes à la craie sur des panneaux à roulettes qu’ils promènent aux quatre coins de la scène, des éléments de décor (porte, placard…) ou des moments de l’action (« Au secours ! »).
Le résultat est néanmoins très réussi, car les chanteurs-acteurs brûlent littéralement les planches (chose à ne pas dire dans un monument historique). Ils sont fort bien habillés par Michel Ronvaux, très habitué à Offenbach, dont les costumes sont comme toujours un régal pour les yeux. Ils parlent juste, avec seulement un bémol, la prononciation chantée qui est encore très perfectible, question de technique. Lise Nougier apporte au personnage difficile de Suzanne une interprétation mesurée et digne, en même temps qu’enjouée, sans aucun des excès que l’on peut craindre. Sa voix de mezzo est particulièrement bien timbrée, et d’une couleur vocale bien en adéquation avec le personnage. Cécile Madelin est comme il se doit une Rosita plus rouée, et elle vocalise les roucoulades parfois acrobatiques de son personnage avec beaucoup d’esprit et d’art, jusqu’à accepter l’entreprise de séduction menée à son égard par Florestan. Celui-ci est interprété par Léo Vermot-Desroches, qui est absolument épatant de drôlerie retenue, mise en valeur par une très jolie voix de ténor. Un type d’emploi qui lui va comme un gant, et dans lequel on aurait plaisir à le revoir exprimer ses dons de comédien. Adrien Fournaison, enfin, joue le mari Henri, petit rôle à l’origine dit « de coulisse », auquel il apporte une bonhomie de bon aloi, ainsi qu’une voix de basse également fort bien menée. Quatre jeunes chanteurs dont il conviendra de suivre avec attention la carrière en devenir.