Le récital Grandes Voix est une formule bien huilée, alternant (avec des générosités diverses selon les artistes invités) parties chantées et séquences purement instrumentales. Mais parfois le beau mécanisme semble s’enrayer…
Nous sommes au milieu de la première partie, Diego Fasolis dirige l’ouverture d’ Il Nascimento dell’aurora, une rareté de Tomaso Albinoni. A la fin de l’ouverture, le public, vraisemblablement surpris de la brièveté du morceau, ne réagit pas, et le chef sort de scène dans le silence. Arrive alors Max Emanuel Cencic, qui se retrouve seul devant un orchestre privé de chef. Comme pour combler un vide gênant, théorbe, violoncelle et contrebasse entonnent un charmant interlude, qui n’est en fait que l’introduction d’un hymne d’Apollon écrit en honneur de l’impératrice d’Autriche, extrait de la même œuvre d’Albinoni. Sans matériau orchestral pour la soutenir, hors le délicat écrin des trois instruments à cordes, la voix du contre-ténor se retrouve à nu. Et c’est dans cette épure que se révèlent la pureté et la pulpe d’un timbre qui conjugue moelleux et fragilité. Le chanteur se fait ici enchanteur, captivant le public de demi-teintes et d’aigus filés… Le temps semble comme suspendu.
On avait auparavant retrouvé, dès le premier air à vocalises, « Venti turbini » extrait de Rinaldo, les qualités habituelles du chanteur : d’abord une puissance certaine, atypique parmi ses confrères contre-ténors, un timbre androgyne, proche du mezzo soprano féminin dont le chanteur aime à s’approprier le répertoire « traditionnel », mais aussi une virtuosité impeccable.
L’impression se fait moins favorable lorsque le chanteur aborde le lamento. Sa « Pena, tirana » et plus encore « Gelido in ogni vena » extrait de Farnace font ressortir un certain manque de caractérisation. On note en particulier un déficit de variations entre les différentes reprises, et l’on ne frissonne pas à l’unisson des « terror » du « Gelido in ogni vena » qui nous ont autrement troublés dans d’autres gosiers.
Plus généralement, les extraits de Farnace, mais aussi le « Verdi prati » en bis, semblent mettre le chanteur en difficulté du fait des sauts de registres périlleux et d’une tessiture un peu grave. Max Emanuel Cencic a beau poitriner, le bas de la tessiture lui échappe, donnant parfois l’impression d’un manque d’assise, qu’il tente de compenser par des variations dans l’aigu.
On le sent plus à l’aise dans les Haendel qu’il a enregistré avec les mêmes ensemble et chef (voir la critique de Bernard Schreuders). Certes, pour qui a dans l’oreille d’autres voix féminines plus capiteuses, celle du contre-ténor peut sembler manquer d’un peu d’envergure. Pourtant la couleur est séduisante, la vocalise facile et on apprécie la belle unité de registres (notamment un bas médium qui semble ici retrouvé). Le contraste est saisissant en deuxième partie qui referme le concert sur Haendel, avec un « Sta nell’ircana » particulièrement réussi.
On applaudit également la générosité du chanteur qui accorde pas moins de quatre bis devant l’accueil très chaleureux du public.
La générosité semble d’ailleurs une qualité qu’il partage avec Diego Fasolis. Quoique celle du chef soit autrement démonstrative que celle de Max Emanuel Cencic, d’un naturel plutôt timide et parfois emprunté sur scène. Diego Fasolis qui dirige du clavecin, dos au public, donne lui parfois l’impression d’un Ray Charles sous amphétamine, se dandinant en rythme ou bondissant pour plaquer un accord. Ce n’est cependant pas seulement pour le spectacle ; on apprécie dès l’ouverture de Rinaldo la rigueur d’I Barocchisti et leur couleur orchestrale exempte de toute verdeur. Si l’on n’est tout d’abord pas totalement emporté, c’est peut-être à cause d’une sonorité trop « propre », à l’image du premier violon un peu timide dans le « Venti turbini ». Les douceurs d’Albinoni sont superbement rendues, mais c’est dans Vivaldi que l’orchestre explose et quel feu d’artifice ! Couleurs mordorées des cordes, pulsation endiablée et des aspérités qui enfin enflamment les sens. On attend avec impatience l’enregistrement de Farnace prévue en 2011.