Après le très beau Rheingold récemment entendu dans ce même opéra de Zürich, nous attendions beaucoup de cette Walkyrie : la première journée du Ring est un trésor de virtualités. C’était sans compter sur une étrange baisse de qualité générale par rapport au précédent épisode.
Le plateau vocal est en premier lieu beaucoup moins convaincant. Le Wotan de Egils Silins, que nous avions fort apprécié dans Rheingold, se trouve ici en difficulté. Trop souvent, la voix est forcée, et les graves, faibles, passent à peine l’orchestre; dans “Die Augen Leuchtendes Paar”, la ligne de chant est inexistante et les attaques tendues. Fricka (Cornelia Kallisch) aura été la très bonne surprise de la soirée: plus à l’aide que dans Rheingold, elle nous offre un son maîtrisé et beaucoup plus souple. Janice Baird, annoncée souffrante, campe une assez belle Brünnhilde. Si la qualité de son cri de guerre se discute, la voix est d’une solidité absolue, agile, extrêmement timbrée. On regrette de sa part le manque de nuances, celles-ci n’apparaissant que timidement à la fin de l’oeuvre. Siegmund (Stuart Skelton) nous a davantage déconcerté : si la voix est très belle et plutôt riche, elle atteint rapidement ses limites : l’instrument perd beaucoup d’assise et de timbre dans le médium-aigu. Surtout, cela manque d’interprétation, et il est difficile de savoir quelle “détresse du héros” Brünnhilde prétend avoir entendue. Sieglinde (Martina Serafin) ne fait qu’une bouchée des difficultés de la partition, mais au prix d’aigus d’une dureté qui rappellent une Helga Dernesch des mauvais jours. Quand à Matti Salminem, qui incarne Hunding, on le retrouve, dans un rôle qu’il connaît comme sa poche, tout à fait égal à lui-même, à la fois dans ses attaques gutturales, et dans sa voix immense.
L’orchestre, de même que tout le reste du spectacle, est lui aussi inégal. Absolument sublime dans le premier acte, où les cordes se surpassent dans le leitmotiv de l’amour des deux jumeaux, il est, par exemple, beaucoup moins convaincant dans la chevauchée, ne prenant son envol qu’à la toute fin de celle-ci. Mais surtout, les cors, qui se sont déjà malheureusement fait remarquer dans Rheingold, auront su à nouveau additionner des couacs bien sonores. Compte tenu de la précision des cordes et des bois, on aura peine à incriminer la direction de Philippe Jordan, d’ailleurs globalement toujours aussi brillante et impressionnante.
Mais c’est surtout la mise en scène de Robert Wilson qui aura plongé cette Walkyrie dans la médiocrité. Si quelques très bonnes idées se retrouvent ici et là, c’est la pauvreté, et un certain ridicule, qui la composent trop souvent. Nous ne remettons pas en cause le premier acte, globalement assez réussi, poétique, malgré quelques détails un peu étranges: on pense à l’attitude de Siegfried, qui n’a rien de l’homme pourchassé ou épuisé, ou à la forme de l’épée, qui évoque plutôt un parapluie. C’est dès le deuxième acte que les choses se gâtent, et où la limite entre dépouillement et pauvreté est franchie. Le décor se résume à la couleur projetée en fond de scène, comme pour Rheingold, et à diverses strates noires, signalant la montagne, d’où peuvent sortir des panneaux inclinables. Et c’est à peu près tout ce qu’il y a à dire d’un point de vue scénique sur ces deux actes ! Wotan et Fricka ne font que changer tour à tour de place, Wotan et Brünnhilde discutent à moitié couchés, sans que cela ne parvienne à créer l’effet poétique recherché (le père et sa fille contemplant les cieux), Siegmund et Siegline fuient au ralenti, Brunnhilde et Siegfried conversent, immobiles, et enfin, le combat, semi-figuratif, n’est ni palpitant, ni profond. On craint pour l’acte suivant, et on a bien raison : la chevauchée tourne au ridicule. Les Walkyries entrent sur scène d’un pas hésitant, hors de tout propos, et semblent se demander qui a eu la méchante idée de les mettre ici. Le feu nuptial, quant à lui, est fait de trois petites flammèches risibles, le tout, sur un étrange fond blanc et bleu. Qu’est-il donc arrivé aux belles promesses que laissait entrevoir Rheingold ? Il nous semble que Wilson a manqué d’audace – ou d’idées – et qu’il a tenté quelque chose entre le stylisé et le figuratif, héritant au final des défauts des deux sans en retirer des qualités. Les costumes sont pourtant magnifiques, et les quelques sublimes moments de la mise en scène, comme la seule lumière sur les deux mains réunies des jumeaux, ou le rouge ardent qui noie la scène lorsque Brünnhilde reçoit l’ordre d’abandonner Siegmund, laissent rêveurs quant à ce qu’aurait pu être ce spectacle.
On ressort relativement frustré de cette Walkyrie, qui ne convainc sur aucun plan. Ni souffle épique, ni profonde introspection, rien qu’un spectacle qui semble manquer de véritables idées, de ferveur et de beauté. Et lorsqu’une mise en scène misant sur l’esthétique n’est même plus belle, que lui reste-t-il?