C’est le titre d’une des plus célèbres chansons de l’opérette, que chante le premier rôle, industriel provincial débarqué à Paris dans le but d’y faire des conquêtes. La re-création parisienne d’Un soir de réveillon avait été saluée par Laurent Bury (Aux Brigands, les mélomanes reconnaissants). L’ouvrage est repris par la compagnie au Festival de Saint-Céré, où elle est basée. C’est donc au Théâtre de l’Usine, salle du Bistrot, pour être précis, que le public est convié. Dans l’alignement de la grande salle (où se déroule en alternance Yes, de Maurice Yvain, que nous verrons très prochainement), ce qui d’ordinaire doit constituer la scène et l’arrière scène est ainsi le cabaret d’un soir, où, de façon conviviale, le public est installé autour de tables entre lesquelles les acteurs pourront circuler.
Savoureuse et drôle, riche en rebondissements, en gags et quiproquos, en clins d’œil et en bons mots, l’opérette que signe Raoul Moretti vaut surtout par sa vingtaine de chansons, d’Albert Willemetz, orfèvre en la matière, qui ponctuent le déroulement de l’action. Tous les ingrédients du théâtre de boulevard et du caf’conc sont réunis pour la circonstance, à l’exception du cocu de service. La jeune et chaste Monique va s’inviter à la soirée de réveillon d’une demi-mondaine – durant laquelle tout est permis et orchestré – pour favoriser les rencontres et les amours passagères, force champagne. Sauf qu’elle et un fêtard, jeune, riche et séduisant, vont se prendre au jeu… L’opérette rencontra un tel écho que le cinéma s’en empare un an après. La Paramount sortit son film en 1933, qui connut un succès durable, avec une distribution éblouissante (Henri Garat, Dranem, Arletty…).
L’opérette française jette alors ses derniers feux, épuisée, concurrencée par sa rivale d’Outre-Rhin et la comédie musicale américaine. Les Brigands, dont on apprécie le travail original permettant la redécouverte de tant de petits bijoux, fussent-ils en toc, ont tiré parti de ce matériau daté pour en adapter l’intrigue – resserrée – et la musique à la dimension d’un cabaret. Pratiquement pas de décor, quelques accessoires, des costumes bien conçus, assortis d’éclairages appropriés suffisent.
Un soir de réveillon © Lorran Chourrau
Ce soir, Paul-Marie Barbier, présenté comme pianiste, ce qu’il est effectivement, mais de fait arrangeur vraisemblable de la partition, passera de son instrument au vibraphone comme à la guitare au fil des numéros. Secondé par un acteur violoncelliste de talent et quelques petites percussions, nous aurons là ce qu’il faut pour recréer les atmosphères de chacune des scènes et accompagner les nombreux airs et ensembles qu’entonne la troupe. Aucune sonorisation, ni instrumentale, ni vocale n’est nécessaire. Cependant, tout le substrat de danses animées, jazziques ou non, manque de relief, malgré le brio du musicien. Un pauvre piano droit (et un autre puisqu’il y aura transfert de la scène au second acte) ne suffit pas, quel que soit son talent.
La distribution de 2017 a été conservée pour l’essentiel. Seule nouvelle, Sarah Charles se substitue à Marie Oppert, et rien dans son chant comme dans son jeu ne trahit cette prise de rôle. Malgré les qualités individuelles de chacun et leur investissement, on reste quelque peu sur notre faim, nous prenant à imaginer ce que tel ou tel aurait pu nous valoir au niveau de la direction d’acteur, du rythme, et des quelques chorégraphies (ici fort brouillonnes). Car chanteurs-comédiens, ou comédiens-chanteurs sont à la hauteur des enjeux. Aucun ne démérite.
De Gilles Bugeaud, solide baryton, excellent acteur, on retiendra surtout Carbonnier et ses chansons, et l’architecte, père de l’héroïne, dont il ignore la conduite. Sans omettre son numéro de comédien du théâtre Kabuki (au restaurant), d’une drôlerie incroyable. Sarah Charles est Monique, alias Ninon, pseudo cousine de Viviane, l’émancipée organisatrice de la soirée. Dès son premier air (« Un’ p’tite poule »), la voix bien timbrée sait se faire piquante comme charnue, de vierge peu farouche. Romain Dayez, baryton que l’on retrouvera avec plaisir à Metz et Clermont-Ferrand la saison prochaine pour Il mondo della luna, de Haydn, campe un Gérard Cardoval, riche et séduisant industriel en mal d’aventures. Son « J’aime les femmes » est irrésistible. C’est vraiment le premier rôle, servi par une voix superbe et un jeu convaincant. Viviane, la demi-mondaine, est Emmanuelle Goizé, artiste complète, séduisante par son chant comme par son physique. La scène de la baignoire (une brouette peinte en blanc), introduite par le violoncelle et le piano, est savoureuse. Flannan Obé, baryton martin ou ténor, est Honoré, chauffeur et chaperon de l’héroïne. Nous retiendons son époustouflant « Quand on perd la tête », entre autres. Les ensembles sont réussis, mais pas toujours parfaitement synchonisés.
Malgré sa bonne humeur, cet aimable divertissement laisse donc un certain goût d’inachevé. Usure d’une production déjà ancienne, ou défaut d’origine, lié à une exigence insuffisante de la mise en scène ? Nous l’ignorons. Toujours est-il que tel ou tel professionnel reconnu du genre serait en mesure de corriger aisément ces fâcheux travers. C’est ce que nous souhaitons, car l’ouvrage et ses interprètes le méritent pleinement.