C’est dans le théâtre historique de Bergame (1800), auquel on a donné en 1897 le nom de Donizetti, qu’est donnée en concert Ginevra di Scozia de Mayr, exotisme écossais bien antérieur à Lucia. Il s’agit de la version éditée par Hans Schellevis à partir du manuscrit original retrouvé à Vienne il y a une douzaine d’années. Il est donc particulièrement intéressant de la comparer avec celle enregistrée à Trieste en 2001 par Opéra Rara avec notamment Elizabeth Vidal et Daniela Barcellona (édition de Marco Beghelli à partir des nombreuses partitions existantes alors, présentant toutes des variantes importantes). En effet, l’esprit n’est pas le même, notamment en ce qui concerne le rôle de Ginevra. Elizabeth Vidal – souvent très injustement laissée pour compte par les critiques français – fait de ce rôle proche musicalement de celui de la Reine de la Nuit une prestation éblouissante de virtuosité. La version originale présentée ce soir est beaucoup plus sage, et plus facile à chanter.
Basée sur la transposition en Écosse d’un épisode de l’Orlando Furioso d’Arioste, elle raconte l’histoire de la princesse Ginevra qui aime Ariodante, mais est faussement accusée d’avoir un autre amant. Elle est de ce fait condamnée à mort par son propre père, le roi d’Écosse. Ariodante, qui est toujours amoureux d’elle, prend sa défense et déjoue l’odieuse machination : tout se termine dans l’allégresse. L’œuvre, réminiscence de l’opéra séria de Gluck, Mozart et Haydn, annonce déjà en quelques endroits les prémices de l’opéra romantique, mais reste au total très traditionnelle. L’excellente direction musicale de George Petrou (qui assure aussi le continuo) rend pleinement justice à cette dualité, et sa précision et sa rigueur répondent parfaitement à celles de l’orchestre et des chœurs masculins allemands venus pour l’occasion.
La prestation de Myrtò Papatanasiu (Genevra) est au niveau de la sympathie que suscitent les malheurs du personnage qu’elle incarne. Toutefois, il ne faut pas oublier que la créatrice, la soprano Teresa Bertinotti Radicati, était célèbre pour la facilité de ses vocalises et pour son suraigu. Globalement, Myrtò Papatanasiu ne démérite pas, mais elle n’a corrigé aucun des défauts vocaux que nous avions soulignés lors de son interprétation de Traviata ou de Donna Anna, et qui l’empêchent d’assurer correctement toute l’étendue du rôle : voix engorgée et aigus criés, avec de temps en temps quelques rares jolis moments, quand elle arrive à se repositionner sur la colonne d’air. Mario Zeffiri (Polinesso), quant à lui, chante de façon trop nasale, et débite les récitatifs d’une manière tout à fait approximative. Il a néanmoins de la présence et sait camper un personnage, mais, comme sa consœur, il devrait éviter de vouloir à tout prix tenir trop longtemps une note finale au détriment de sa qualité sonore et musicale.
En revanche, il n’y a que des éloges à adresser à Peter Schöne, jeune et brillant roi d’Écosse, et aux autres interprètes féminins : Anna Bonitatibus, qui défend avec chaleur et énergie le rôle difficile d’Ariodante (créé par le castrat Luigi Marchesi), au point qu’avec elle, et malgré son léger vibrato, on en oublie quelque peu qu’il s’agit d’une version de concert parfois un peu indigeste. Stefanie Irányi est un parfait Lurcanio, rôle pourtant un peu ingrat, et Magdalena Hinterdobler (Dalinda) anime la stupidité de son personnage d’éclats musicaux fort soignés, simplement entachés d’un fort accent germanique.