Le public ne s’était pas pressé en masse, ce jeudi, pour venir écouter Angelika Kirchschlager dans un programme pourtant savamment composé, puisé au cœur du romantisme germanique et dédié au thème de l’amour : une première partie consacrée à Brahms, dans la veine un peu nostalgique qui le caractérise, et une seconde à Liszt, moins souvent à l’affiche des récitals de lieder, mais très à l’honneur en cette année de bicentenaire.
L’ambiance était donc un peu froide, dans la grande salle Henry Lebœuf à moitié vide, et l’acoustique un peu sèche pour goûter aux saveurs subtiles dispensées ce soir là. Si la voix de la mezzo autrichienne, aux couleurs très riches, convient bien à la musique de Brahms, elle ne trouve cependant pas toujours le ton, intime et contenu, qui rendrait pleinement justice à l’inspiration poétique de ce grand compositeur de lieder. Déployant de généreuses envolées lyriques là où il faudrait seulement plus de raffinement et d’attention aux détails, théâtralisant son interprétation à l’excès, dispersant un peu son énergie à travers des mimiques, des déhanchements et des attitudes charmeuses lorsqu’on demande seulement un soutien plus linéaire et plus d’archet dans la voix, Kirchschlager a un peu déçu dans cette première partie de programme, tout en restant très professionnelle. Il est vrai qu’elle avait à soutenir la comparaison avec son collègue Christian Gerhaher, qui une semaine auparavant avait conquis le même public à la Monnaie avec une Schöne Magelone particulièrement passionnante.
En seconde partie, la chanteuse présentait une subtile sélection de lieder de Liszt – ce ne sont pas les pages les plus fréquentées de son œuvre – qui révèle chez ce compositeur au talent si varié, une très belle inspiration mélodique mais pas de véritable révolution dans l’art du lied. Mais il se fait que le tempérament de Kirchschlager s’accorde particulièrement bien avec le caractère extraverti et même un peu démonstratif de la musique de Liszt ; elle en rend parfaitement tout le charme spontané, toute la noblesse d’inspiration, et sauve ainsi la mise avec panache.
Au piano, le très élégant Jean-Yves Thibaudet se révèle un partenaire remarquablement présent, imaginatif, attentif et prévenant, parfois presque trop sonore (le piano était grand ouvert) lorsque l’écriture brahmsienne se fait plus chargée, ou lorsqu’il se laisse emporter par l’impétuosité de son propre tempérament. Il révèle la pleine mesure de son talent poétique dans deux pièces pour piano seul, particulièrement réussies l’une et l’autre : l’intermezzo op 118-2 de Brahms et la troisième consolation de Liszt, venues agréablement scinder chacune des deux parties du récital.
Deux bis enfin, parmi lesquels la charmante berceuse Sandmännchen de Brahms, dont – touchant détail – Kirchschlager précise que sa maman lui chantait quand elle était enfant, viennent clore la soirée.