Impempe Yomlingo
(d’après La Flûte Enchantée de Wolfgang Amadeus Mozart)
Opéra en deux actes
Adapté et mis en scène par
Mark Dornford-May
Spectacle chanté en anglais et en xhosa.
Livret et musique de Mandisi Dyantyis, Mbali Kgosidintsi,
Pauline Malefane, Nolufefe Mtshabe
Une production d’Eric Abraham et Isango Portobello Company of Cape Town
créé en association avec le Young Vic Theatre de Londres
Chorégraphie, Lungelo Ngamlana
Costumes, Leigh Bishop
Lumières, Mannie Manim
Conseiller technique, Dan Watkins
Assistant du metteur en scène, Gbolahan Obisesan
Conseiller musical, Charles Hazlewood
Sonwabo Ntshata, Tamino
Noluthando Sigonya, 1ère Dame
Lungelwa Mdekazi, 2e Dame
Unathi Habe, 3e Dame
Phumzile Theo Magongoma, Papageno
Bongiwe Mapassa, Reine de la Nuit
Portia Shwana, Pamina
Thozamo Mdliva, Papagena
Malungisa Balintulo, Monostatos
Sebastian Zokoza, Sarastro
Bulelani Madondile, Sprecher
Luthando Mthi, Prêtre
Tembisa Mlanjeni, Poseltso Sejosingoe, Noluthando Boqwana, les Esprits
Luvo Rasemeni, Thamsanqua Ntoninji, Deux Hommes d’Armes et toute la troupe.
Troupe de 33 musiciens, danseurs, chanteurs solistes
et choristes des townships d’Afrique du Sud
Orchestre de 12 marimbas et percussions africaines
Direction musicale, Mandisi Dyantyis
Paris, le 9 octobre 2009
Une Flûte inouïe !
Il faut savoir recevoir et mériter ce spectacle que propose la troupe de Théâtre Musical « Isango Portobello » de Cape Town (Afrique du Sud). On ne vient pas ici en espérant entendre un nouveau Wunderlich en Tamino ou une nouvelle Edda Moser en Reine de la Nuit. On peut avoir parfois les oreilles mises à mal par des intonations plus que hasardeuses ou des techniques vocales trop sommaires encore pour s’attaquer à la vocalité périlleuse de certains rôles comme la Reine de la Nuit ou Tamino. C’est parfois dérangeant il est vrai, mais ces écueils font partie du jeu et peuvent même émouvoir tant ce qui se passe sur scène est fascinant à plus d’un titre. Même la musique du glockenspiel, joué sur des bouteilles vides en fond de scène, sonne faux à ravir et la trompette, qui donne de la voix à la flûte muette de Tamino, n’hésite pas à s’envoler comme celle de Satchmo ! Quelle belle leçon de vie, quelle belle façon de faire de la musique, car c’est bien ce que le public, ce 9 octobre, a ovationné au Châtelet : l’essence même de la musique avec tout ce qu’elle comporte d’ivresse, de joie de vivre, d’émotion et, plus que tout, de partage et d’échange !
Dès l’ouverture, le son profond et velouté de douze marimbas, fabriqués spécialement pour la production, et l’élan que leur imprime le chef Mandisi Dyantyis nous font dire qu’un Fritz Busch, par exemple, aurait beaucoup aimé ce Mozart-là car il a gardé la verdeur et la fraîcheur que devait avoir la création de la Flûte dans les faubourgs de Vienne. Le rythme, l’énergie, la magie et le partage, maîtres mots du metteur en scène Mark Dornford May, sont ici au rendez-vous. Pas une baisse de tension, mais une savante alliance d’atmosphères très différentes, de ruptures, de recueillements et d’émerveillements, portent l’empreinte d’un grand homme de théâtre et on se réjouit de voir à Paris, en mars prochain, sa mise en scène de Tremonisha de Scott Joplin.
Un praticable en pente, deux trappes, des échafaudages, de beaux éclairages (Mannie Manim) : c’est tout ce qu’il lui faut pour donner à ce conte magique un rythme soutenu qui ne laisse pas le temps d’applaudir avant le salut final. Outres les premiers rôles (signalons la belle voix de la Pamina de Portia Shwana et le touchant Papageno de Phumzile Theo Magomgoma) les artistes sont à la fois chanteurs, acteurs, danseurs et joueurs de marimbas ou de percussions. L’adaptation musicale est intelligemment réalisée. Rien n’est laissé au hasard ou à l’à-peu-près. De temps en temps, l’orchestre de Mozart est confié aux voix et les musiciens prennent un malin plaisir à s’approprier certaines formules rythmiques à leur manière, avec un joli clin d’œil (on s’amuse beaucoup durant cette Flûte) qui force la sympathie. Aucun exotisme bon marché, aucune démagogie dans ce spectacle : il est tout simplement humain, merveilleusement et noblement humain.
A l’instar des mythes, les grandes oeuvres théâtrales et musicales doivent être en permanence revisitées. C’est en exil que Mark Dornford May a songé au lien entre le conte de Schikaneder et le joueur de flûte de la tradition Tsonga d’Afrique du Sud, chargé de chasser les oiseaux qui provoquent les orages. Et c’est à Londres que cette distance imposée lui a fait prendre conscience qu’à son retour, il allait devoir participer à la création d’un théâtre national sud-africain noir et ce, avec l’aide de l’art le plus universel qui soit : la musique. Cette Flûte en est l’embryon et on imagine aisément les chemins qui s’ouvrent aujourd’hui. On songe aux artistes brésiliens des années 20 qui établirent les bases d’un nouvel art authentiquement national en « dévorant », par ce mouvement qu’ils avaient appelé « anthropophage », tout ce que l’art européen pouvait leur apporter. Nul doute que c’est à leur image et au prisme d’un tel syncrétisme, que les artistes de cette Flûte de Cape Town, élaborée au carrefour de plusieurs cultures, sauront forger un Théâtre à la fois sud-africain et universel.
Paris peut s’enorgueillir d’avoir enfin, au Châtelet, un Théâtre Musical, comme toutes les grandes capitales européennes (Londres, Berlin, Madrid, Vienne) où l’on peut découvrir, outre les opéras, de beaux spectacles musicaux venus d’ailleurs et, bien sûr, ces grandes comédies musicales américaines dont la capitale a été trop longtemps privé. Ce faisant, le public du Châtelet a pratiquement doublé. Rien d’étonnant ! Le 9 octobre, la salle entière s’est levée pour remercier ces musiciens qui se sont approprié Mozart d’aussi belle manière. Ils nous ont donné, le temps d’un soir, ce qui nous manque trop souvent au théâtre, à l’opéra surtout: la générosité.
Marcel Quillévéré