Pour cette ouverture de saison, l’Opéra National du Rhin renoue avec le festival de musique contemporaine Musica, un festival qui avait boudé l’an dernier le pourtant superbeFrühlings Erwachen de Benoît Mernier.
Richard III fut créé en 2005 à l’Opéra de Flandre (Anvers-Gand), ancien fief du nouveau directeur général de l’Opéra National du Rhin, Marc Clémeur. Il s’agit d’une superbe partition, foudroyante d’intensité – tant sonore que dramatique – évoquant l’ascension vers le pouvoir puis la chute d’une figure dévorée par l’ambition et la cruauté. N’hésitant pas à tuer son propre frère et ses neveux puis à épouser la femme d’un des fils du roi qu’il a également fait assassiner, Richard III meurt sur le champ de bataille, tout comme Macbeth. L’ouvrage repose bien entendu sur la pièce de Shakespeare « concentrée » par Ian Burton en un opéra de deux actes se déroulant sur deux heures trente de musique. Du fait de cette compression (ou bien est-ce un choix délibéré), il n’y a pratiquement aucune pause dans une action constamment exacerbée voire paroxystique où les événements se bousculent.
La musique est sur la même longueur d’ondes : il s’agit d’un geyser continu qui vous prend dès l’impressionnant prélude et ne vous lâche que dans un déroutant finale qui, pour le coup, semble presque saint-sulpicien (chœur tonal en coulisses, avec accompagnement atonal de l’orchestre incluant d’incessants glissandi ascendants-descendants de la harpe, le tout en fade-out) : pourquoi ne pas avoir arrêté l’action sur la pathétique mort de Richard, délivrant son fameux « A horse, a horse, my kingdom for a horse » (« Un cheval, un cheval, mon royaume pour un cheval ») ?… Seul moment de – relatif – répit, le beau récit de Tyrrel au deuxième acte sur fond de chœur d’enfants en coulisse, mais c’est bien peu.
Fort opportunément, la mise en scène de Robert Carsen s’inscrit dans la même logique de violence exacerbée : nous sommes dans une arène (le décor évoque le cirque d’hiver parisien) dont la scène est couverte d’un impressionnant sable rouge. Symbole du sang bien sûr, mais aussi du temps qui passe, le sable est encore une matière que l’on ne peut saisir et qui « file » des doigts, tout comme le pouvoir et le succès. Dans cet étonnant cadre, action et agissements des personnages sont volontairement grossis : le sang gicle, Richard III grimace et gesticule en tous sens, les poses sont théâtrales, etc. Tout cela est superbement réglé et parfaitement en phase avec la partition, comme toujours avec Carsen. Autre marque de fabrique du metteur en scène canadien, une formidable direction d’acteurs offrant ainsi une grande intensité pour un sujet qui n’en réclame pas moins. On ne s’ennuie donc pas une seconde dans cet ouvrage mais le risque est de ressentir une certaine lassitude devant tant de violence et de décibels…
L’équipe musicale rassemble certains des créateurs de l’ouvrage en 2005 à commencer par le stupéfiant Scott Hendricks qui incarne magistralement le rôle titre. La voix est superbe et solide tandis que l’acteur est confondant : on en arrive presque à ressentir un certain attachement pour le personnage. On est totalement admiratif devant cette performance tant musicale que scénique. Certains chanteurs pâtissent un peu devant cette prodigieuse prestation, comme Lisa Houben, qui campe une Lady Anne un peu terne et en manque d’aigus, mais Sarah Fulgoni en Duchesse d’York ou Urban Malmberg en Buckhingham par exemple arrivent cependant à tirer leur épingle du jeu.
Les chœurs, tant ceux de l’Opéra National du Rhin, que la Maîtrise, sont superbes tout comme l’Orchestre Symphonique de Mulhouse qui offre une performance absolument extraordinaire. Mention spéciale pour le pupitre des percussions mis à rude épreuve.
Autre artisan incontestable de la réussite de cette soirée, le chef Daniel Klajner qui ne cesse de nous combler lorsqu’il dirige des ouvrages aussi énergiques et intenses que ce Richard III (on se souvient de sa fabuleuse Elektra ici-même, ou de la compilation de symphonies de Chostakovitch destinées à accompagner le film muet Le Cuirassé Potemkine d’Eisenstein donné en juin dernier à Mulhouse). Klajner dirige avec une sûreté et un sens du théâtre vraiment stupéfiants. La partition semble briller de milles feux entre des mains aussi expertes. Tant l’orchestre que son chef semblent avoir été portés par l’enjeu et tous sont à féliciter pour le bonheur qu’ils nous ont offert ce soir-là.
Ouverture de mandat réussie donc pour Marc Clémeur (tout le monde ne peut pas en dire autant !) mais réussite également pour le festival Musica (dans lequel cette production s’inscrivait) qui proposait un week-end d’ouverture absolument somptueux : concert inaugural avec le superbe SWR Sinfonieorchester Baden-Baden und Freiburg dirigé par Sylvain Cambreling le vendredi soir, une étonnante œuvre de Luca Francesconi pour cinq orchestres d’harmonie partant de différents endroits du centre ville et convergeant vers le parvis de la cathédrale (grand succès populaire pour une partition ne faisant aucune concession à la facilité) le samedi après-midi, ou encore 20 concerts gratuits à la Cité de la Musique retransmis en direct sur le site internet d’Arte le dimanche après-midi. Qui dit mieux ?