Les Arènes de Vérone reprennent une production de Nabucco de 1992 signée Gianfranco di Bosio, grand homme de théâtre et de cinéma qui fut également superintendant de Vérone (c’est lui qui avait fait venir Jean Vilar à Vérone pour la mythique production de Don Carlo de 1970). Il est aussi l’homme des grandes machines, et c’est une excellente idée que d’avoir repris cette production de Nabucco qui peut paraître aujourd’hui un peu datée, mais qui porte sa marque et sa manière de concevoir une mise en scène claire et spectaculaire (excellents mouvements de foules), sur des plans scéniques bien délimités, et à partir d’un concept clairement défini.En l’occurrence, di Bosio considère l’œuvre « comme une métaphore du conflit entre le monothéisme et les religions idolâtres, où domine la loi du plus fort jusqu’à l’explosion finale : ici celle du temple de Jérusalem surmonté de la tour de Babel, qui tous deux s’écroulent à la fin du spectacle, montrant que le matérialisme ne résiste pas à la puissance de l’esprit ».Tout cela passe remarquablement bien à la scène, et ce grand péplum à l’italienne qui conserve beaucoup de charme et d’efficacité, est très supérieur aux deux productions véronaises de ces dernières années.
Le jeune baryton Marco Vratogna (Nabucco) a fait ses débuts il y a une dizaine d’années, et a abordé dans ce laps de temps tous les grands rôles verdiens et pucciniens. On l’a vu notamment en Amonasro à Munich et à Londres (voir le compte rendu de Christophe Rizoud ). Il a la puissance, il a la présence, il a la jeunesse vocale, le résultat est donc, à tous points de vue, fort beau et convaincant. L’Ukrainien Vitalij Kowaljow campe un Zaccaria qui fait penser à Charlton Heston dans le passage de la mer Rouge. Parmi la quarantaine de rôles qui figurent à son répertoire, Zaccaria est un de ceux qu’il chante le plus : il faut dire qu’il y est éblouissant tant vocalement que de présence, avec un jeu « Péplum » parfaitement adapté à la présente production. Le jeune ténor chilien Giancarlo Monsalve (Ismaele) n’est pas des plus convaincants, surtout dans son jeu scénique en décalage par rapport à celui de ses partenaires.
La cantatrice grecque Dimitra Theodossiou est, également depuis une dizaine d’années, une des grandes tragédiennes du théâtre lyrique international : il se dégage de ses interventions une force dramatique à laquelle rien ne résiste. D’aucuns lui reprochent des accents parfois un peu sauvages et une certaine instabilité de la voix. Ce soir, elle a été étonnante, dès son entrée – moins véhémente que d’autres mais avec de très beaux accents –, et plus encore au début du 2e acte et dans l’air précédant sa mort, où elle donne des sons filés « à la Caballe » tout à fait magnifiques et très au-dessus de ce que l’on entend d’habitude. Son Abigaille prend ainsi rang parmi les grandes interprétations de ce rôle difficile. La Hongroise Andrea Ulbrich poursuit de son côté une carrière européenne avec tous les grand rôles de mezzo ; certes, elle ne fait pas dans la finesse, mais la voix est somptueuse et l’art de chanter certain : avec elle, Fenena est un vrai premier rôle.
Le chef bulgare Julian Kovatchev est un habitué de Vérone, c’est certainement pourquoi il réussit à conduire le spectacle sur les chapeaux de roue, mais pas assez toutefois pour devancer la pluie qui interrompt le spectacle pendant ½ heure au 3e acte. Il fait surtout preuve d’une grande rigueur qui lui permet notamment de mener les chœurs avec beaucoup de précision (le « Va pensiero » est bissé selon l’habitude, sans même que le public ait à le demander !). Il évite ainsi tous les décalages susceptibles d’intervenir en ce lieu immense, et que la plupart de ses confrères ont bien du mal à contrôler. Une belle représentation, où l’on retrouve totalement l’esprit Vérone des temps passés.