La somptueuse salle rose et grise du Bayerische Staatsoper reprend la production d’Aïda créée la saison dernière avec un cast de haute volée dans une vision profondément sombre, en écho à l’actualité.
Bien loin de tout faste pharaonique, Damiano Michieletto soutenu par non pas un mais deux dramaturges, plante son décor dans un gymnase sinistré au plafond crevé par les obus. Aïda est la bonne fée de ce camp de réfugiés, distribuant eau potable en bidons et couvertures défraîchies. Les costumes de Carla Teti sont à l’avenant de cet univers désolé dans des tons bleu gris. Sans être vraiment laid, tout ici est triste, abandonné.
En contraste, les quatre actes sont rythmés par les apparitions aux couleurs fraîches des protagonistes du temps de l’insouciance de l’héroïne – son enfance. Le gymnase reprend alors ses couleurs et sa fonction première : le père soutient sa petite fille qui marche sur la poutre ; cerceau, ruban se font « portauloin » vers le passé. Dans une scène finale assez improbable mais non dénuée d’efficacité, c’est un cortège en fête qui accompagne au ralenti les amants emmurés vers un monde meilleur – comme on voit défiler sa vie avant de mourir.
Le présent, lui, est celui d’un conflit sans vainqueur : scories charbonneuses remplissant les chaussures des soldats puis se déversant du plafond éventré jusqu’à recouvrir toute une partie de la scène dans un triangle qui dessinera plus tard la tombe des amants maudits. Des vidéos soulignent de manière quelque peu superfétatoire la métaphore de ces vies réduites en cendres. D’ailleurs même le départ au combat – superbement interprétés par l’excellent Chœur du Bayerische Staatsoper – semble dépouillé, emprunt de gravité.
C’est l’un des reproches que l’on peut adresser à cette mise en scène : marteler son idée à coup d’images redondantes et de lumières inutilement laides, brutales, au dépend parfois de la direction d’acteurs.
De ce point de vue, Elena Guseva ne manque pas de mérite car elle donne à son Aïda pureté, humilité et pourtant une grande densité de présence d’autant plus remarquable que sa tenue comme ses activités lui ôtent tout charisme. Pourtant, figure de compassion angélique déchirée entre devoir et sentiment, elle semble profondément vivante. Conduisant ses phrases avec beaucoup d’intelligence, elle bénéficie d’un timbre splendide aux aigus ductiles et soyeux doublés d’une expressivité proverbiale.
Face à elle, le legato, les sons filés comme les aigus puissants de Jonas Kaufmann régalent l’oreille mais sa prestation est plus en demi-teinte, car il semble comme extérieur au drame par moments, jouant parfois même assez faux alors qu’il s’avère très touchant à d’autres.
Leurs duos sont naturellement somptueux, tout particulièrement le final, presque murmuré de tendresse. Les trios sont à l’avenant, tant Raehann Bryce-Davis – appelée en renfort en remplacement d’Eve-Maud Hubeaux ce dimanche, et reprenant le rôle qui lui était dévolu la saison passée – impose son formidable timbre corsé aux graves splendidement poitrinés. Tout comme sa rivale, elle interprète son personnage avec une sincérité bouleversante, tour à tour impérieuse ou implorante, ravagée par les affres de la passion avant d’être sacrifiée à la raison d’état.
Ce trio de choix est avantageusement complété par Vitalij Kowaljow, roi d’une suprême autorité à la projection magnifiquement percutante ; Alexandros Stavrakakis Ramfis plein d’aplomb sans oublier un Amonasro de rêve en la personne de George Petean.
Dans la fosse, Marco Armiliato donne une belle visibilité à chaque pupitre, joue des nuances avec précision et tire le meilleur de l’Orchestre du Bayerische Staatsoper tour à tour transparent et rugissant – au point parfois malheureusement d’en couvrir les chanteurs.