C’est une nouvelle mise en scène d’Aïda signée Michael Mayer que le Metropolitan Opéra a proposée dans les cinémas ce samedi 25 janvier. Inaugurée lors de la soirée du 31 décembre 2024, cette production succède à celle de Sonja Frisell, créée en 1988, qui avait fait les beaux soirs de la première scène new-yorkaise pendant une trentaine d’années. Elle avait été filmée à plusieurs reprises et retransmise pour la dernière fois dans les salles obscures en octobre 2018 avec Anna Netrebko dans le rôle-titre. Le spectacle de Mayer ne le cède en rien sur le plan de la démesure et de l’opulence à celui de Sonja Frisell. Les décors monumentaux de Christine Jones alignent temples gigantesques et salles de palais somptueuses, richement décorés ou habillés par les projections du studio 59. Sobres sont les costumes de Susan Hilferty, noir et or pour les prêtres, bleus pour les soldats. La robe rouge flamboyante d’Amnéris tranche avec celle, élimée et blanchâtre, d’Aïda. A cette vision hollywoodienne de l’ouvrage, dans la continuité de Zeffirelli et de Frisell, Mayer ajoute une touche de modernité avec la présence d’explorateurs qui se mêlent aux personnages, sans sembler les voir ni être vus par eux. Pendant le prélude, le premier d’entre eux, dont l’apparence n’est pas sans évoquer Harrison Ford dans Indiana Jones ou Les Aventuriers de l’Arche perdue, descend à l’aide d’une corde dans le tombeau qui accueillera Aïda et Radamès. Sur le sol, il découvre un poignard, celui avec lequel Amnéris se donnera la mort à la fin de l’opéra. Durant la scène du triomphe, nous voyons ces explorateurs piller le temple et s’en aller en emportant dans leurs bras, des coffres, des statuettes et autres objets de valeur. Leur présence n’apporte rien finalement à l’intrigue, elle est là pour dénoncer ostensiblement le pillage des sites archéologiques antiques par les occidentaux, mais était-ce bien utile?
La direction d’acteurs est somme toute relativement statique, sauf pour les explorateurs qui vont et viennent continuellement. Les principaux protagonistes adoptent des attitudes et des gestes stéréotypés comme s’ils étaient les personnages d’une bande dessinée sortie de l’imagination des explorateurs qui reconstitueraient leur histoire au fur et à mesure de leurs fouilles.
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La distribution, sans être indigne, n’est pas exempte de faiblesses. Si Yongzhao Yu, messager à la voix bien projetée et Amanda Batista, prêtresse au timbre pur et lumineux, s’acquittent honorablement de leur tâche, Morris Robinson, doté d’une voix vacillante au registre grave insuffisant, s’avère incapable d’assurer son autorité de chef religieux. Harold Wilson campe un roi discret aux moyens solides cependant. Judit Kutasi incarne une Amnéris sur la retenue en début de soirée, qui peu a peu se déchaîne, notamment dans son duo avec Aîda, qu’elle écrase de son mépris à l’acte deux et lors de sa scène finale spectaculaire qui s’achève par un hara-kiri non prévu par le livret. Si le jeu de la mezzo-soprano roumaine est quelque peu limité, elle dispose de moyens opulents et de notes graves sonores et homogènes. Quinn Kelsey propose un chant corsé aux riches sonorités, agrémenté d’un legato fluide et bien conduit. De plus le baryton, contrairement à ses collègues, se révèle un excellent acteur. Il parvient même à sortir Angel Blue de sa réserve dans leur duo impressionnant du troisième acte. Piotr Beczala est un Radamès de haut vol, qui allie une technique irréprochable à la noblesse de sa ligne de chant. Il se tire avec les honneurs des embûches que comporte son air d’entrée « Celeste Aïda », qu’il conclut par un si bémol pianissimo de toute beauté, émis en voix mixte. Son duo final avec Angel Blue est empreint d’une émotion palpable. Nouvelle star du Met, celle-ci ne parvient pas tout à fait à renouer avec les fastes des grandes Aïda du passé, Leontyne Price notamment. La soprano américaine possède une voix large et homogène, couronnée par un registre aigu solide qui lui permet de chanter un « Ritorna vincitor » splendide au premier acte, agrémenté d’accents poignants sur les dernières mesures de l’air. Si ses deux duos du quatrième acte sont dramatiquement convaincants, son « O patria mia » la trouve en difficulté, le contre-ut tant redouté par les cantatrices, est à peine esquissé.
A la tête d’un orchestre du Metropolitan en grand forme dont on admire la pureté des cordes, notamment au début du prélude, et la brillance des cuivres, Yannick Nézet Séguin, toujours attentif aux chanteurs, propose une direction extrêmement fouillée qui met en valeur certains détails qu’on a peu l’habitude d’entendre. Il excelle à faire ressortir l’éclat des grandes scènes dramatique par contraste avec la délicatesse des scènes intimistes.