Après une édition anniversaire fêtant le centenaire de l’institution en 2023 où l’on inaugurait une toute nouvelle production d’Aida, l’opéra qui a largement contribué au succès de son festival, les Arènes de Vérone proposent cette année deux mises en scène de la même œuvre. On a ainsi pu revoir l’Aida très contemporaine de Stefano Poda créée l’an passé et proposée cette fois en juin et en juillet, avant de revenir pour le mois d’août à la version hollywoodienne devenue classique du très grand metteur en scène italien Gianfranco de Bosio, décédé en 2022 à un âge vénérable et dont on fête cette année le centenaire. Pour la première du spectacle, c’est une date très symbolique qui a été choisie, à savoir le 10 août, jour de naissance du Festival, en 1913. À l’époque, c’est l’architecte et scénographe Ettore Fagiuoli qui avait élaboré ce qui est devenu l’« edizione storica ». Le Véronais Gianfranco de Bosio avait ressuscité cette version en 1982. Elle a depuis été donnée 267 fois au cours de 22 saisons successives. La reprise de Bosio est inspirée du travail réalisé en 1913 par Fagiuoli, mais également des dessins de l’égyptologue Auguste Mariette à l’origine de l’intrigue d’Aida, tout comme une attention toute particulière aux indications scéniques de Verdi.
Le spectacle un rien désuet et au kitsch éprouvé fait cependant toujours recette : les arènes sont ce soir pleines à craquer. Cette production a encore de beaux jours devant elle… Les tableaux successifs évoqués nous permettent de nous promener entre le péplum à l’italienne, la vision hollywoodienne de la Cléopâtre de Mankiewicz, la vision revue et corrigée de Goscinny et Uderzo, les tableaux orientalistes signés Alma-Tadema ou encore les superbes lithographies en couleurs de la Description de l’Égypte. Un univers visuel où le carton-pâte est de la plus belle qualité et qu’on exhibe avec fierté. Tout cela est bien ficelé, voire millimétré, d’un professionnalisme absolu, y compris pour les enfants impeccablement alignés, au fil de parades d’une symétrie parfaite et d’un soin méticuleux jusqu’au moindre détail. Les chorégraphies sont visuellement splendides, magnifiées par des solistes de tout premier plan. Pourquoi bouder son plaisir ? Les fastes et les couleurs font de ce spectacle une féerie qui nous transporte en plein xixe siècle et dont le mécanisme, ce soir, ne souffre d’aucun grain de sable qui aurait pu l’enrayer.
La distribution est solide, à commencer par Maria José Siri, grande habituée du rôle, mais dont l’interprétation est un peu trop lisse. La voix est ample, les aigus radieux et les couleurs brillantes, mais il manque un je-ne-sais-quoi pour transcender le rôle, du moins pour ce soir. Cela dit, la soprano uruguayenne est une grande interprète dont on se dit qu’une salle de dimensions plus humaines permettra sans doute de mieux apprécier les subtilités. Il faut dire également qu’elle a, à ses côtés, une figure exceptionnelle en la personne de Ekatarina Semenchuk. La mezzo russe incarne une Amneris dont les affres de la jalousie et les souffrances intimes suscitent une empathie inhabituelle, sublimée par un timbre aussi noble que sombre et magnifiée par une aisance vocale qui flatte l’oreille. Les tourments de la jalousie, la souffrance intense, la colère puis les remords sont palpables. Le funeste et ineffable « Pace » final résonne encore au-dessus des Arènes… Cerise sur le gâteau, Piotr Beczala excelle en Radamès. La technique est irréprochable et le ténor polonais triomphe dès le « Celeste Aida ». Il émane de lui une bravoure doublée d’une honnêteté sans faille. On est face au virtuose absolu, dans tous les sens du terme, y compris dans l’acception italienne du terme, à savoir : « vertueux, valeureux ». À ses côtés, Luca Salsi campe un Amonastro empreint de morgue et de distance hautaine. Le reste de la distribution contribue à faire de cette Aida une vraie réussite, que les chœurs mettent davantage encore en valeur.
Routinier de la partition, Daniel Oren parvient avec brio à tirer le meilleur de son orchestre. Les trompettes sont particulièrement mises en valeur, les masses sonores équilibrées et les subtilités soulignées. Plusieurs distributions sont à découvrir tout au long du mois août et début septembre, dont, dans le rôle d’Amonasro, le grand Ludovic Tézier le 29 prochain. Une bien belle nuit d’été en perspective…