C’est la dernière représentation de Falstaff selon Robert Carsen que le Metropolitan Opera a diffusée dans les cinémas ce samedi 1er avril. Créé en 2013 avec grand succès ce spectacle avait déjà été repris en 2019. Le metteur en scène canadien situe l’action vers la fin des années 50 dans la bourgeoisie anglaise. Dans cette production luxueuse, qui propose un décor différent pour chaque tableau, les personnages, à l’instar du rôle-titre, passent le plus clair de leur temps à manger et à boire. Le rideau se lève sur une grande salle au milieu de laquelle trône le lit de Falstaff endormi. Autour de lui, des tables recouvertes de nappes tachées et d’assiettes contenant les reliefs d’un repas témoignent d’un festin récent. Le deuxième tableau se déroule non pas dans un jardin mais dans un restaurant chic où les joyeuses commères devisent en mangeant, un verre à la main. Au deuxième acte, ces dames se préparent à accueillir Falstaff dans la cuisine d’Alice au mobilier vintage et aux murs jaune verdâtre. Au début du trois, c’est dans une écurie que l’on retrouve Falstaff, allongé à côté d’un cheval occupé à manger du foin. Enfin, le dernier tableau, sous un ciel étoilé, s’achève par un banquet autour d’une grande table rectangulaire. Les costumes signés Brigitte Reiffenstuel, en particulier ceux des femmes évoquent la mode de cette époque dans des couleurs vives d’un goût anglais. La direction d’acteurs, d’une grande précision, entraîne les personnages dans un tourbillon incessant ponctué par les répliques en suspens de Fenton et Nanetta, qui laisse peu de répit au spectateur ébloui.
© Karen Almond
La distribution, sans faille sur le plan vocal, se montre également à la hauteur des exigences théâtrales de Carsen. Tous les protagonistes se révèlent d’excellents comédiens à commencer par Michael Volle que l’on n’attendait pas dans ce répertoire et qui effectue une prise de rôle magistrale. Grand habitué des emplois wagnériens et straussiens, le baryton allemand qui compte également Scarpia à son répertoire, campe un Falstaff charismatique, avec une voix saine sur toute la tessiture et une noblesse de timbre qui rappelle que le « pancione » n’est pas un roturier. De plus, Il dispose d’une dynamique étendue qui lui permet de s’emporter contre Bardolfo et Pistola avec une voix puissante et autoritaire ou d’alléger son émission dans un « Quand’ero paggio » délicat et rêveur. Sa diction intelligible et le soin qu’il accorde au texte contribuent à hisser son Falstaff au niveau des plus grands. Habituée du personnage qu’elle a déjà incarnée en 2019, Ailyn Pérez incarne une Alice mutine à souhait avec un zeste de glamour irrésistible. Son timbre essentiellement lyrique couronné par un contre-ut brillant et son impeccable legato lui valent un succès mérité. Dans le rôle de son époux, Christopher Maltman témoigne d’une vis comica qu’on ne lui soupçonnait pas. Son entrée chez Falstaff déguisé en cow-boy ridicule est tout à fait hilarante. La voix est solide et l’interprétation accomplie ne laisse de convaincre comme en témoignent les gros plans sur son visage qui exprime les différents affects du personnage. La Quickly haute en couleurs de Marie-Nicole Lemieux est fidèle à sa réputation, exubérante et dotée de moyens conséquents. La contralto québécoise utilise à bon escient sa voix de poitrine à des fins interprétatives. Jennifer Johnson Cano complète avec bonheur le quatuor féminin avec son incarnation pétillante de Meg.
© Karen Almond
Le couple d’amoureux capte l’attention grâce au timbre séduisant de Bogdan Volkov et à la voix limpide et fraîche de Hera Hyesang Park, exquise Nannetta dont on aurait aimé cependant que son la bémol sur la phrase « Anzi rinnova come fa la luna » soit plus éthéré. Le Docteur Caius, Pistola et Bardolfo trouvent en Carlo Bosi, Richard Bernstein et Chauncey Packer, des interprètes convaincants et drôles, les mimiques de Chauncey Packer sont particulièrement irrésistibles.
Au pupitre Daniele Rustioni propose une direction alerte qui excelle à faire ressortir les subtilités de la partition. Avec un sens aigu du théâtre, il fait progresser l’action à vive allure sans négliger pour autant les passages essentiellement lyriques comme les interventions des jeunes tourtereaux. On admire l’élégante légèreté de sa fugue finale qui conclut le spectacle avec brio.
Le samedi 15 avril prochain, le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live, Le Chevalier à la rose avec dans le rôle de la Maréchale Lise Davidsen.