« Donnez-moi les quatre plus belles voix du monde » se serait exclamé Toscanini lorsqu’on lui demandait de monter un Trouvère. Équation évidemment impossible à laquelle le Festival Verdi à Parme tente de répondre par le pari de la jeunesse.
Ce pari donne de la fraîcheur au couple d’amoureux Leonora et Manrico, mais n’est pas sans poser quelques problèmes au regard des exigences vocales des deux rôles.
Non pas que Francesca Dotto et Riccardo Massi déméritent, loin de là, ils font tous deux preuve d’une belle probité stylistique et d’un engagement sans faille, qui payent notamment aux deux derniers actes. Mais ils ne remplissent pas totalement le costume complexe que Verdi leur a taillé.
Francesca Dotto est une Leonora scéniquement charmante, plus fraîche qu’habituellement. Le chant est techniquement impeccable, plus à l’aise cependant dans les cabalettes « Di tale amore che dirsi » ou « Tu vedrai che amore in terra » que dans les grands sauts d’octave ou les passages plus dramatiques. Il lui manque cependant, pour totalement convaincre dans ce rôle entendu mille fois dans les gosiers les plus glorieux, un timbre plus accrocheur et cette capacité à ouvrir et faire rayonner la quinte aiguë, qui font les grandes Leonora.
C’est également cette dimension spinto qui fait quelque peu défaut à son amant. Riccardo Massi donne une impression de grande facilité : il parvient à l’issue de la représentation sans sembler jamais fatiguer. La voix est longue, les aigus émis sans tension audible, le contre ut couronnant « La pira » est conquérant. Pourtant, à l’image du personnage que lui assigne la mise en scène, un grand dadais un peu ballotté par les événements, ce Manrico reste un peu falot, faute d’arêtes plus saillantes et d’héroïsme.
On ne peut en revanche reprocher au Comte de Luna de Franco Vassallo un quelconque manque de relief. Il y en a pour le coup un peu trop ! L’appropriation du rôle est évidente, mais à trop vouloir donner un sens à chaque note on en perd définitivement la ligne. Voilà un Comte qui a clairement perdu de vue la dimension belcantiste du rôle.
Clémentine Margaine ne lui cède en rien en termes d’engagement. Son Azucena est une furie incandescente, repliée sur elle-même scéniquement mais qui embrase tout autour d’elle. La voix semble sans limite, des graves sonores et caverneux aux aigus émis tels des uppercuts. Sans tomber dans un vérisme caricatural, la mezzo française délivre une performance hallucinée qui ne peut pas laisser de marbre. Elle reçoit d’ailleurs un triomphe mérité aux saluts.
Riccardo Fassi (à ne pas confondre avec son confrère ténor !) remplaçait ce soir au pied levé Marco Spotti en Ferrando. La jeune basse italienne fait montre d’un bel engagement et d’un timbre séduisant ; les années et l’expérience apporteront davantage de creux et d’ombres au personnage.
La direction de Francesco Ivan Ciampa souffle le chaud et le froid. Très affûtée, elle met en exergue certains traits, relance le discours, mettant en valeur les beaux timbres de l’Orchestra del Teatro Comunale di Bologna. Pourquoi alors choisir des tempi parfois alanguis, qui rendent certains passages, tel le chœur des bohémiens, d’une lourdeur sans nom ? Le chœur qui séduit par ailleurs par ses couleurs, quand bien même quelques décalages se font entendre en début de soirée.
La nouvelle production signée Davide Livermore impressionne sans toutefois toujours convaincre. Elle bénéficie d’abord des superbes vidéos signées D-Wok. L’écran qui occupe tout le fond de scène sert souvent de seul décor, mais la qualité du dispositif crée une profondeur de champs saisissante et nous transporte d’un lieu à l’autre avec virtuosité. Nous sommes moins convaincus par certains effets visuels qui viennent parasiter régulièrement l’écran, une eau noire clapotante qui envahit le paysage, un écran qui s’embrase, qui viennent perturber l’œil et détournent l’attention. On reconnaîtra par ailleurs à Davide Livermore une certaine efficacité dans le réglage des scènes de groupe, notamment l’irruption des soldats à la fin de l’acte 2. L’attention à la direction d’acteur des solistes est moins aboutie, les chanteurs restant régulièrement statiques en avant-scène lors de leurs arias.
Cependant, le plus gros défaut de la production reste les précipités interminables, qui allongent la soirée sur trois heures vingt (entracte compris), un record pour un Trouvère !