Ce 23 janvier 2024, à l’Opéra Bastille, c’est l’une des plus belles Traviata qu’on a pu entendre et cela grâce à une interprétation musicale et vocale inoubliable. On ne peut rêver meilleure Violetta aujourd’hui que Nadine Sierra. Son interprétation est bouleversante. Elle « « est » la belle et jeune Violetta, son engagement scénique est époustouflant. La voix est sublime, la technique sans faille, capable de toutes les nuances, de l’infime pianissimo aux fortissimi de la passion et de la douleur. Quel legato, quel phrasé ! Les coloratures sont précises, les aigus denses et lumineux, le chant infiniment nuancé et tout cela avec une aisance désarmante. A ses côtés un Alfredo tout aussi sublime a réalisé ce soir-là un véritable exploit : Pene Pati a, en effet, remplacé au pied levé René Barbera souffrant. Comment a-t-il pu s’intégrer en si peu de temps à cette mise en scène tellement mouvementée et s’adapter à la tournette implacable du décor, sans jamais faillir dans son interprétation, sans que la maîtrise de son chant en soit affectée ? Bravo ! On comprend l’ovation spectaculaire du public à la fin. La voix est magnifique et le duo qu’il fait avec Nadine Sierra est un miracle d’harmonie, de complicité, de sensibilité. Quels musiciens ! On retrouve toutes ces mêmes qualités dans le Germont de Ludovic Tézier d’une noblesse rare, dont le legato infaillible accorde au texte grandeur et magnanimité dans les plus infimes détails. De là jaillit cette émotion qui touche tant le public. Les seconds rôles sont à l’avenant, tous impeccables.
Enfin l’autre grand héros de la soirée est le chef d’orchestre Giacomo Sagripanti à la tête d’un Orchestre de l’Opéra admirable. L’ouverture qui annonce d’emblée le sacrifice final de Violetta est ici un chef d’œuvre d’interprétation : on entend peu souvent de tels pianissimi qui tiennent du murmure, une telle justesse de tempo.
Hélas, au même moment, la scénographie criarde et tape à l’œil, invite le public à lire, sur d’énormes écrans qui virevoltent, des messages de réseaux sociaux vulgaires et salaces. On entend des spectateurs s’esclaffer alors que dans la fosse s’élève la plus intime et profonde des musiques. Quel manque de respect envers l’œuvre ! Et, souvent dans la soirée, ce genre de vulgarité inutile et démagogue impose aux spectateurs une pénible distanciation. Comment lire la traduction du texte de Piave quand on voit sur grand écran, en scène, un défilé d’émojis et d’échanges insipides d’internautes ? Interférences lassantes sans parler des accessoires et accoutrements tapageurs et intempestifs qui détournent l’attention durant la soirée. Quel dommage car le metteur en scène Simon Stone est un excellent directeur d’acteurs ! Il sait aider les chanteurs à construire leur personnage, il les comprend. Pourquoi s’encombre-t-il de tant d’artifices inutiles quand c’est dans l’épure qu’il excelle, en particulier quand les acteurs sont seuls en scène face à un décor simple et nu. Ainsi, la rencontre de Violetta avec Germont au second acte est particulièrement poignante tout comme le dernier acte où Nadine Sierra est déchirante (on se souviendra longtemps du duo final à peine chuchoté au début, et de la marche vers la mort de Violeta). Le public debout a longuement acclamé les chanteurs, le chœur, le chef et l’orchestre au salut final. Grâce à eux cette Traviata restera dans les annales de notre opéra national.