Reprise au Capitole de Toulouse de la somptueuse production de La traviata, datant de 2018, que l’on doit au regretté Pierre Rambert, et qui conserve tout son éclat. On n’a pas lésiné sur les décors : au I, salon richement décoré avec mezzanine et vue imprenable sur Paris ; propriété avec piscine en bord de mer, sous le soleil de Provence au II ; salle de jeu au III sous les ors là aussi d’un grand salon parisien. Les décors du IV sont resserrés : le tout petit lit de Violetta surmonté d’un interminable baldaquin, qui voit s’échapper au lever du rideau celle qu’on imagine être la femme comblée que Violetta aurait pu être et qui rejoint précocement le ciel.
On se serait passé toutefois du lit de Violetta montant lui aussi dans les airs au moment de sa mort, alors que tout, dans l’ultime scène, ramène à leur triste humanité les protagonistes éplorés . De même que le kitsch d’une encombrante fleur de camélia au lever de rideau du I nous a semblé un peu suranné. Mais détails que cela ! Tout dans les costumes (dont les magnifiques robes de Violetta) de Frank Sorbier et la sage mise en scène reprise par Stephen Taylor donne sens à l’intrigue que l’on suit pas à pas.
C’est le jeune Michele Spotti, que l’Opéra de Marseille vient de recruter pour succéder dès la saison prochaine à Lawrence Foster au poste de directeur musical de l’Opéra municipal, qui dirige un orchestre décidément en grande forme. Il est vrai que, les productions se succédant, on ne peut que constater la constance d’une phalange, excellant aujourd’hui dans tous des répertoires abordés. Spotti opte en général pour des tempi mesurés, particulièrement au I dans le duo Alfredo-Violetta et surtout il faut noter qu’il propose systématiquement toutes les reprises ajoutées par Verdi, comme celle, rarement donnée, du « Forse lui ».
L’italienne Rosa Feola ayant déclaré forfait avant le début des répétitions, Christophe Ghristi a fait appel à la tchèque Zuzana Marková qui fait ainsi ses débuts toulousains dans un rôle qu’elle affectionne. Nul doute que le directeur musical s’en sera félicité, la soprano marquant d’une empreinte à coup sûr durable cette production. Zuzana Marková démontre qu’elle est aujourd’hui une des plus crédibles et brillantes titulaires de ce rôle. Elle fait passer par la voix tout le chromatisme de ses états d’âme ; le dialogue avec Alfredo au I, puis leur duo, privilégient constamment le registre mezzo forte, voire mezzo piano, ce qui plonge immédiatement le spectateur dans l’intimité du drame, et permet de suivre sans aucune difficulté le fil rapide de la conversation, d’accompagner les méandres des craintes et espoirs des amoureux. Violetta, tout au long de la pièce, gravit et descend les multiples étages de l’ascenseur émotionnel ; la passion brûlante, la volonté de lutter contre le sort, la résignation, l’abnégation (superbe duo du II avec Giorgio) ; toutes ces nuances sont habitées et trouvent dans le chant de Marková une exacte retranscription. La scène finale du I est conduite avec une rare autorité, semblant gommer les incroyables chausse-trappes de la partition. Tout cela explique pourquoi ce rôle est aujourd’hui celui pour lequel la soprano tchèque est la plus demandée. Etonnamment, Marková nous prive du contre mi bémol conclusif du « Sempre libera », dont on sait qu’elle le maîtrise pourtant avec autorité. Serait-ce les dernières suites d’un brève aphonie qu’elle a connue les jours précédant cette première ? Qu’importe ! Cette omission n’obère en rien la plénitude du tableau vocal qu’elle trace sans faille du début à la fin. Le public toulousain ne s’y trompe pas et lui signifie combien il l’a déjà adoptée.
Jean-François Lapointe en Giorgio Germont est l’autre grande figure de la soirée. Le Québecquois a tissé au fil des années un répertoire d’une grande richesse, nullement circonscrite aux rôles italiens. Et pourtant, à entendre son cantabile aux accents de bronze, la vaillance émergeant à dessein, on se dit qu’on tient en lui un vivant exemple de ces barytons-Verdi, qui ne sont plus si nombreux sur le circuit. Tout le deuxième acte, construit autour de son personnage, est un pur bonheur.
L’Alfredo d’Amitai Pati est le complice idéal de Violetta. Les deux voix, nous le disions plus haut, se marient idéalement au I, le brindisi est brillant avec juste ce qu’il faut de vaillance. Au II toutefois (« De’ miei bollenti spiriti » et surtout dans la cabalette qui suit « O mio rimorso » ) la voix peine à atteindre sa plénitude et toute la longueur nécessaire. Gageons qu’au fil des représentations Pati desserrera l’étreinte. Victoire Bunel est une délicieuse Flora, Cécile Galois est une Annina sans nuance, les autres rôles secondaires sont irréprochables.