Macbeth raconte « une histoire pleine de bruit et de fureur », selon les propres mots de Shakespeare repris dans le livret de l’opéra de Verdi. Est-ce là le point de départ de l’inspiration de Daniel Benoin, pour sa mise en scène ? Elle abreuve le spectateur, dès l’ouverture et durant tous les précipités, de vidéos dues à Paulo Correia où les chanteurs programmés en Macbeth et en Banco apparaissent comme englués dans les horreurs d’un conflit meurtrier. Le décor art déco de l’intérieur du château de Macbeth incitera à penser qu’il s’agit de la première guerre mondiale. Le mélange entre les images de fiction et les bandes d’actualités est réalisé avec grand soin. Par la suite, la vidéo confirmera son rôle, en faisant apparaître le spectre de Banco, les démons supérieurs et la lignée de souverains que Macbeth voudrait interrompre. Cette omniprésence a donc son utilité, d’autant qu’elle supprime les temps morts pendant les changements de décor. Mais pourquoi est-elle accompagnée d’un « habillage sonore » ? Ces rumeurs qui s’insèrent dans le discours verdien étaient-elles nécessaires ? Et les pauses musicales liées aux interventions des précipités, outre qu’elles permettent de repenser à ce qu’on vient d’entendre, ne préparent-elles pas à mieux recevoir ce qui les suit ?
L’action de Macbeth se déroule entre extérieur et intérieur, l’espace naturel et l’espace créé par les humains pour s’abriter. Les décors – signés Jean-Pierre Laporte – sont censés les représenter. Le premier est pour le moins déconcertant : foin de lande sauvage, le spectateur a sous les yeux une cour dont les côtés sont bordés de maisonnettes identiques et dont le fond est occupé par un bâtiment de vastes proportions. On croit voir un des ensembles industriels, comme il en existait à Saint-Étienne, l’usine au centre et à ses flancs les logements des ouvriers. On attend les sorcières, on voit surgir des ouvrières en blouse grise uniforme – costumes de Nathalie Bérard-Benoin – plutôt désinvoltes qui évoquent forcément les cigarières de Carmen. Plus tard elles iront travailler dans le grand bâtiment, peut-être une fonderie, et le spectateur fera peut-être le lien entre leur activité qui transforme la matière et leur nature de sorcières. Quand, au troisième acte, Macbeth retourne les consulter, on se demande à les voir s’éveiller si leur phalanstère n’est pas une variante du pensionnat de Poudlar. Sur les murs sera projeté le défilé des souverains. Et au dernier acte le spectateur devra voir dans cet espace la lande où se rejoignent les troupes pour préparer l’assaut contre Macbeth, une vidéo dans une forêt représentant celle de Birnam.
L’autre décor montre une vaste pièce, occupée en son centre par une longue table dont on devine qu’elle servira pour le banquet. A cour, contre le mur, un lit à deux places où le couple Macbeth aura un entretien dépourvu de la sensualité mutuelle que le meuble semblait commander, de quoi donc s’interroger sur son utilité. A jardin une cheminée art-déco, une porte, et une autre en fond de scène derrière la table. La frise qui orne le haut des murs porte des chardons pour indiquer que l’action est en Ecosse. Le lecteur a déjà deviné que l’encombrante table réduit l’espace disponible pour les évolutions des chanteurs, et en déduit que quand le chœur est sur scène pour le banquet il est contraint de s’entasser en arrière. Dans cette scène des hallucinations de Macbeth la lumière et la vidéo jouent un rôle important et plutôt bien réalisé. De quoi s’étonner qu’à l’acte I les larges baies de la chambre se soient illuminées a giorno alors que tout le déroulé de l’assassinat est nocturne. D’ailleurs, à s’étonner, pourquoi Macbeth est-il présent quand son épouse lit la lettre qu’il lui a adressée et qu’en principe elle lit avant son retour ? Et pourquoi des sorcières meurent-elles au troisième acte ? Victimes du devoir ?
© Cyrille Cauvet
Cela ne suffit pourtant pas à disqualifier la production. Daniel Benoin a sûrement sa part du mérite dans la direction d’acteur, mais encore plus sûrement Giuseppe Grazioli est l’artisan de la réussite musicale incontestable et longuement saluée au rideau final. Sa direction est un modèle de limpidité et d’équilibre dans la gestion de la dynamique et des accents; il obtient de l’orchestre une exécution d’une qualité délectable, tous pupitres confondus, avec des cordes impeccables et des vents irréprochables. Le dosage sonore entre fosse et plateau est un sans-faute, et la tension dramatique ne faiblit pas un instant. Nul doute que cette qualité ne soit le reflet de l’alchimie entre les musiciens et leur chef.
Autre atout du spectacle, la qualité des seconds rôles. En suivante de Lady Macbeth Cyrielle Ndjiki amène à regretter que ses interventions solistes soient si brèves tant la rondeur, la longueur et l’éclat de la voix ont de séduction. Également remarquables d’engagement et de tenue vocale, le Malcolm de Léo Vermot-Desroches et le touchant Macduff de Samy Camps. Habitué du rôle de Banco, Giovanni Battista Parodi démontre combien il le maîtrise en lui donnant toute l’épaisseur dramatique possible avec une belle projection nuancée.
Catherine Hunold se taille un beau succès aux saluts, et c’est justice car elle phrase de façon souveraine, mais sa Lady Macbeth nous semble inaboutie. La souplesse de la voix autorise une interprétation qui ferait du personnage une sirène qui subjugue sensuellement son époux pour qu’il consente à ces méfaits auxquels d’abord il répugne. Mais lady Macbeth est aussi une dominatrice mordante, que nous n’entendons pas dans la voix de la cantatrice. La fusion des deux, qui serait idéale, n’est pas réalisée. Alors on reste un peu extérieur, savourant le métier de la belcantiste, admirant les volutes, les fusées, les aigus tenus et les graves de poitrine, mais tendant l’oreille pour un medium peu sonore. A la décharge de l’interprète, elle était à peine remise d’un déboire physique et peut-être une certaine prudence a pu entraver un engagement plus fougueux.
Reste le rôle-titre, et la découverte d’un interprète, Valdis Jansons. Ignoré des scènes françaises hormis un Scarpia bien chantant à Tours il y a six ans, ce baryton letton à peine entré dans sa maturité a pourtant bien des atouts : d’abord la voix du rôle, dont la tessiture ne lui pose manifestement aucun problème, une projection et une articulation impeccables, le sens des nuances, des dons d’acteur satisfaisants et une prestance physique qui en donne au personnage
Si le premier chœur des sorcières a été jugé par certains un tantinet trop acide il était à notre goût, glapissant et grinçant à souhait, et les incantations du troisième acte aussi volubiles que prescrit. Irréprochables le chœur des sicaires au troisième acte et le chœur mixte au dernier acte.
Bien des satisfactions donc, musicales et vocales pour l’essentiel, pour ce dernier opéra de la saison à Saint-Étienne. Avant le lever de rideau, des artistes intermittents sont venus sobrement exposer au public leurs craintes pour l’avenir, en évoquant une diminution de leur temps de travail pour la saison prochaine. Rappelons au lecteur que cet Opéra municipal propose en 2023-2024 cinq productions lyriques. Quel Opéra labellisé « national » en propose moins ?