La Monnaie programme chaque année, parallèlement à sa saison d’opéra, une série de concerts symphoniques qui mettent en lumière les différentes qualités de son orchestre, mis à l’honneur sur le plateau, lui qui a plutôt l’habitude d’être relégué au fond de la fosse.
Dans ce cadre, Alain Altinoglu, le directeur musical de la maison, présentait dimanche après-midi, devant une salle pleine comme un œuf au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, le Requiem de Verdi, rien moins.
Étaient réunis pour l’occasion, outre l’orchestre symphonique au grand complet, les deux chœurs que compte la maison, le chœur symphonique et l’académie des chœurs, auxquels s’était joint le chœur de la radio flamande, pas loin de deux cents musiciens sur scène dans une effervescence palpable.
Le plateau réunit aussi un très beau quatuor de solistes : remplaçant au pied levé Lianna Haroutounian souffrante, la soprano sud-africaine Masabane Cecilia Rangwanasha impressionne par le volume de la voix, son timbre chaud et lumineux, ainsi que sa capacité, tout au long de l’œuvre, à préserver le caractère religieux du texte. La voix est particulièrement bien assortie à celle de Marie-Nicole Lemieux, tout aussi large et voluptueuse, et les passages où elles chantent ensemble, non dépourvus d’une certaine surenchère sonore, sont très réussis.
Héroïsme et vaillance sont sans doute ce qui caractérise le mieux la voix du ténor Enea Scala. Face aux deux solistes féminines de la distribution, on aurait pu imaginer une voix plus large ou mieux ancrée dans le registre médium, mais l’excellent musicien compense par son engagement émotionnel et une belle énergie les limites de son instrument. Impressionnant de noblesse et de dignité, la basse Michele Pertusi complète idéalement cet excellent quatuor. Et si l’auditeur exigeant aura remarqué quelques faiblesses d’intonation dans les passages a cappella où les solistes se retrouvent entièrement livrés à eux-mêmes, ou dans le Libera me où la soprano à découvert est accompagnée seulement par le chœur, l’impression générale dégagée par ce quatuor est très favorable.
Tout aussi impressionnant, l’orchestre profite d’être pour une fois placé en pleine lumière pour donner le meilleur de lui-même, avec un plaisir jubilatoire très communicatif. Les cordes ont des couleurs magnifiques, les interventions des bois ou des cuivres, parfois un peu ostentatoires – c’est la partition qui veut cela – sonnent exactement comme il convient, contribuant grandement à façonner la dramaturgie de l’œuvre. Alain Altinoglu, qui mène tout son monde dans la bonne humeur mais avec rigueur et précision, construit ses effets, jouant sur les contrastes dont la partition ne manque pas pour créer des climats dramatiques très efficaces. Il élabore son interprétation exactement comme il le ferait d’un opéra, avec une jouissance gourmande des pages les plus lyriques, tout en maintenant l’équilibre, la rigueur et le caractère sacré d’une œuvre religieuse. Le même enthousiasme, la même rigueur prévaut également au sein des chœurs, impressionnants par leur masse, leur ferveur, leur impact sonore et leur excellente diction.
Tant les chœurs que l’orchestre participent à cette pleine et jubilatoire réussite que le public reçoit comme un cadeau. Il faut dire que la grande salle Henry Leboeuf – du nom de celui qui, il y a un peu plus de cents ans, imagina cette formidable infrastructure réalisée par l’architecte Victor Horta – possède une des meilleures acoustiques d’Europe, probablement liée à son plan très original de forme ovoïde. Particulièrement sollicitée par ce très grand effectif, jamais débordée par le volume sonore, rendant chaque détail avec une précision remarquable, cette acoustique permet, dès le premier tutti du Kyrie, une impression de plénitude sonore très enthousiasmante qui se confirmera dans tous les moments forts de l’œuvre, présentée sans entracte, ce qui contribue aussi à en renforcer le coté dramatique. Submergé de son, le public entre en communion avec les musiciens, vit la partition à chaque instant, suit son cheminement quasi théâtral avec une qualité d’attention et d’écoute réellement exceptionnelle. Cette concentration du public permettra au chef, tout à la fin de l’œuvre, de maintenir un très long et très spectaculaire silence avant les applaudissements, bien vite transformés en une standing ovation, aussi enthousiaste que méritée.
Une deuxième représentation aura lieu le mercredi 13 novembre à 20h00