Le Festival Verdi fait étape à Fidenza, morne bourgade à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Parme. A l’affiche, Nabucco en version de concert – après Il Trovatore l’an passé, et avant Attila en 2024. Le théâtre a le charme évident d’une salle à l’italienne, rehaussée d’or, tartinée d’azur et de putti, d’une dimension toutefois modeste – 400 places environ – pour contenir la charge héroïque du premier chef-d’œuvre de Verdi. Nabucco voudrait un espace plus vaste pour mieux épancher ses ardeurs risorgimentales, sa rage et ses fureurs.
Le chœur occupe la totalité de la scène. La harpe a été installée au chausse-pied dans une loge de côté. Les chanteurs sont si proches que l’on peut voir les gouttes de sueur perler sur leur front échaudé par l’effort – et par des températures révélatrices du dérèglement climatique.
Il pleut des décibels lorsque la partition convoque fortissimo l’ensemble des forces en présence, mais la poigne de Giampaolo Bisanti est de celles qui domptent des chevaux sauvages. Le nouveau directeur musical de L’Opera Royal Wallonie-Liège (depuis la saison dernière) a appris son Verdi à la source, dans le conservatoire qui porte le nom du compositeur, à Milan. Le Filarmonica Arturo Toscanini cavale, cravaché par une baguette dont l’énergie ne se dissipe pas en vains mouvements. La chevauchée reste disciplinée avec, derrière la dynamique d’ensemble, l’excellence d’instrumentistes rompus à ce répertoire. Un exemple : la légèreté des arabesques dessinées par la flûte lors de la mort d’Abigaille. Le chœur avance aussi en terrain connu, remarquable de cohésion et de maitrise d’intensité – « Va pensiero » évidemment, enflé, élevé, prolongé jusqu’à la dernière note d’un souffle qui refuse de s’éteindre.
Dégagés des préoccupations de puissance qu’imposerait une salle plus grande, les chanteurs peuvent se concentrer sur les intentions et les nuances. Vladimir Stoyanov trouve en Nabucco l’exact faire-valoir de son chant aujourd’hui. Ce roi n’est jamais aussi grand que foudroyé dans sa gloire, hébété – la scène de folie du 1er acte–, humilié – le duo du 3e –, avant de retrouver ses esprits et son prestige dans « Dio di Giuda » vibrant d’humanité. La patine du timbre est celle du souverain usé par l’exercice du pouvoir ; l’autorité, la colère sourde appartiennent au despote que l’on devine à travers la vigueur et le slancio – cet élan propre au chant verdien qu’aucun mot français ne parvient à traduire.
Vladimir Soyanov © Roberto Ricci
Sa fille – adoptive – ne peut se prévaloir de la même maturité. Faut-il le regretter ou s’en réjouir lorsqu’Abigaille est trop souvent crachée au lance flamme par des sopranos viragos. La partition n’en est pas moins maîtrisée dans ses contours les plus extrêmes et ses sauts de registre les plus vertigineux, sans tension apparente, ni aigreurs. Le trait précis foudroie mais, pour une fois – et ce n’est pas si fréquent –, la vierge blessée supplante le succube assoiffé de vengeance et dévorée d’ambition. Un surcroît d’expression dans la cantilène pourrait hisser Marta Torbidoni parmi les meilleures titulaires du rôle, à condition que la voix conserve ce même impact sur une scène plus vaste.
Zacharia malmène le legato et la musicalité de Marco Mimica. Ce que le chef des Hébreux gagne en pugnacité, le patriarche le concède en sagesse paternelle. Comme ses partenaires, la variation des reprises inscrit à bon escient la partition dans sa filiation belcantiste.
Fenena au timbre charnu de Caterina Piva qui gagnerait à soigner davantage les mezza voce de « Oh dischiuso è il firmamento! » ; Ismael conquérant de Marco Ciaponi, ténor clair d’une santé vocale éclatante : les seconds rôles témoignent à leur échelle du niveau d’une représentation réjouissante.