C’est la rentrée au Capitole de Toulouse avec une nouvelle production de Nabucco en partenariat avec l’opéra de Lausanne, dont Charles Sigel avait rendu compte en juin dernier. La distribution (il y en aura deux en alternance) est entièrement revue, à l’exception du Zaccaria de Nicolas Courjal, déjà présent en Suisse.
Le metteur en scène, chorégraphe, éclairagiste et costumier Stefano Poda, qui mettra en scène ce même Nabucco en ouverture du Festival des Arènes de Vérone 2025, propose une vision proprement, voire essentiellement chorégraphique de l’œuvre. On pourrait presque oser avancer que c’est tout l’opéra qui est chorégraphié, tout, jusqu’au baisser de rideau et aux saluts hiératiques des choristes et de leur chef Gabriel Bourgoin, alignés comme des soldats au garde-à-vous. Dix-sept danseurs sont omniprésents et accaparent l’attention. Ils accompagnent plus qu’ils ne commentent l’action, ils s’agrippent aux personnages, les entravent ou les entraînent, les forcent ou les blessent, et ne leur laissent aucun répit. C’est esthétiquement très réussi, parfois subjuguant, c’est une prouesse artistique et athlétique incontestable, mais cela reste une chorégraphie. Et une chorégraphie ne remplace pas une mise en scène.
Or ici, on chercherait vainement une proposition, une mise en scène au sens où l’on entend qu’une conduite d’acteurs doit éclairer, interroger le spectateur, susciter l’adhésion, la controverse ou le débat. La danse à la place du jeu d’acteurs ?
Alors tout de même, quelques idées à retenir. L’opposition criante et parfois éblouissante, pour ne pas dire aveuglante des couleurs dans des décors essentiellement géométriques. Des lumières crues qui s’opposent ; des couleurs qui tranchent jusqu’au caricatural (exclusivement blanche, rouge et noire avec des protagonistes qui endossent alternativement ces couleurs sans que l’on sache trop quel sens donner à cela). Et aussi, une grille cylindrique transparente qui figure tantôt le temple hébreu, tantôt la prison de Nabucco au IV ou encore, plus malaisant, une immense fournaise dans laquelle périssent les Juifs au I. Et puis le « Va pensiero » avec l’aile de Samothrace reconstituée en arrière-plan et le blé en herbe, qui promettent richesse et liberté. Mais de ligne conductrice qui nous entraînerait dans une histoire, point ; le spectateur reste spectateur, il reste pour ainsi dire sur la touche.
©Mirco Magliocca
L’orchestre national du Capitole brille de nouveau de mille feux. Si l’on met de côté une synchronisation douteuse des cuivres au tout premier accord, on aura admiré l’homogénéité des tutti et la qualité des solos (flûte et violoncelle). Ce qui, en revanche, aura interrogé, c’est la direction imprimée par le chef Giacomo Sagripanti. Une direction parfois difficile à suivre à l’image d’une ouverture qui nous a semblé bien peu lisible avec des sauts de tempi inattendus. Et puis, dans la liaison entre les morceaux (les numéros), un manque de fluidité, des points d’arrêts trop marqués et qui ont pour effet de couper l’élan.
Plateau vocal de belle tenue, dominée par l’époustouflante Abigaille de Yolanda Auyanet. La soprano espagnole s’empare d’un des rôles verdiens les plus exigeants avec l’autorité de celle qui sait de quoi elle chante. Le timbre est trempé comme un fer brûlant, les blessures de la vie se lisent dans les aspérités vocales qui confèrent à la ligne de chant une authenticité sans commune mesure. La technique est sûre, Auyanet caracole avec assurance jusqu’en haut de la gamme et dégringole celle-ci tout aussi sûrement : à cet égard, la phénoménale entrée du II, arioso, aria et cabalette avec un saut de deux octaves du contre-ut aigu à l’ut grave est d’autant plus spectaculaire que la soprano nous gratifie, pour la reprise de la cabalette, d’ornements aussi difficiles que maîtrisés. A ses côtés le Nabucco de Gezim Myshketa monte en puissance tout au long de la soirée. Timbre chaleureux, ardeur vocale incontestable, jeu convaincant ; on retiendra le magnifique duo avec Abigaille au III (« Deh, perdona ») où Rigoletto pointe sous Nabucco. Nicolas Courjal est Zaccharia, le rôle le plus difficile du répertoire verdien, selon lui. L’entrée est effectivement redoutable (« D’Egitto là su i lidi ») que Courjal entame avec prudence, en évitant les pires embûches de cet enfer pavé de bonnes intentions. La suite lui donnera raison et il conclut brillamment (« Del futuro nel buio discerno »). L’Ismaele de Jean-François Borras a quelque peu souffert d’un manque de stabilité dans l’émission au I ; tout est rentré dans l’ordre par la suite et on aura reconnu la générosité dans le ténor du Grenoblois. Beaucoup de subtilité dans la voix d’Irina Sherazadishvili qui est une Fenena vraiment touchante. Quelques aigus filés, un cantabile du plus bel effet, auront marqué cette belle présence sur scène.
Enfin, il ne faudrait surtout pas oublier le personnage principal de Nabucco, à savoir le chœur. Gabriel Bourgoin nous habitue décidément à la belle ouvrage, et là, le curseur était placé très haut, tant les choristes, hommes et femmes, sont en permanence sur le gril. Même pour un soir de première, on ne déplorera nul décalage, nulle approximation dans l’élocution d’un italien quasi parfait ; on retiendra comme il se doit le moment de grâce tant attendu : les 45 voix qui entonnent un « Va pensiero » qui, pour entendu et rebattu qu’il soit, donne toujours la chair de poule quand il est de cet acabit.