Un récent concert donné le 28 octobre 2022 dans le cadre du Grand Amphithéâtre de la Sorbonne à Paris, proposait le Requiem de Verdi dans les conditions qui avaient été celles de sa présentation en 1943 au camp de concentration de Terezin, une des antichambres d’Auschwitz. Le pianiste et chef d’orchestre tchèque Rafael Schächter avait réussi à réunir avec les difficultés que l’on imagine, cent cinquante choristes et quatre solistes, tous internés, accompagnés par deux pianos. Ce soir, ce concert, donné au théâtre romain de Fourvière dans le cadre du 40e anniversaire de l’orchestre de l’Opéra de Lyon, se voulait rappeler la mémoire des artistes et des musiciens déportés au camp de Terezín. Des extraits du roman de Josef Bor, Le Requiem de Terezin (1963), lus par Richard Brunel pendant près de vingt-cinq minutes réparties en trois interventions, rappelaient ce douloureux évènement. Mais autant l’émotion était poignante et lourde de sens à la Sorbonne, autant ici, avec grand orchestre et solistes en robes du soir et frac, le décalage était-il sans doute trop grand pour que ce Requiem, œuvre intemporelle et universelle, touche de la même manière.
Car le concert est resté dans le grand classicisme, sans rien d’exceptionnel, ni dans la direction d’orchestre de Daniele Rustioni, solide sans être novatrice, ni dans les interventions des chœurs, d’une grande clarté. Les solistes n’ont pas eu l’air plus concernés par ce qui se passait autour d’eux. On sait pourtant que, pour que le miracle fusionnel fonctionne entre tous les ingrédients du Requiem de Verdi, il ne suffit pas de réunir quatre des plus grands chanteurs du moment. Il faut surtout de longues répétitions pour permettre une unité de style qui lie les composants, en particulier dans le Dies iræ. Ce soir, chacun est resté sur ses positions, et l’on a donc eu droit à des interventions plus qu’honorables mais faites d’autant d’éléments séparés accolés.
Ekaterina Gubanova, de sa voix d’orgue, s’est approprié le rôle de diva d’opéra, entre Azucena et Eboli, magnifique notamment dans le Liber Scriptus. Mais évidemment, dans un style plus slave que latin, écrasant souvent ses partenaires, comme dans le Quid sum Miser. Ce n’est finalement que dans l’Agnus Dei, quand la soprano a enfin trouvé ses marques, que l’on a droit à un duo de belle tenue. Saimir Pirgu, dans la plénitude de ses moyens, confirme une fois de plus des qualités lyriques et musicales de premier plan, et même si l’on a noté quelques délicatesses avec le style et le legato, son Ingemisco est de toute beauté, la voix splendide, la projection de premier ordre. Osant utiliser la voix mixte à bon escient, il montre que, même en plein air, il est possible de se faire entendre tout en rendant toutes les finesses de la partition. Mais c’est Michele Pertusi qui a le mieux distillé une grande humanité et une grande émotion, peut-être du fait de moyens qui ne sont plus ceux de sa jeunesse, et d’un souffle qui paraît parfois un peu court. Mais quelle technique, quelle maîtrise du texte et des intentions, un grand moment de beau chant. Enfin, Mariangela Sicilia remplaçait au pied levé Anna Pirozzi, déclarée souffrante. Grâce lui soit rendue d’avoir sauvé le concert. Cette mozartienne que l’on commence à bien connaître, construit de remplacements en prises de rôles une belle carrière internationale. Dès le Rex tremendæ, sa voix aérienne s’affirme rapidement, jusqu’à un magnifique Libera me qui termine en beauté ce concert, dont on retiendra surtout le côté un peu patchwork.