De l’ineffable boîte en carton recyclée ad nauseam par l’Opéra de Paris depuis 2016, ressortent nécessairement les souvenirs des distributions passées. Sans parvenir à égaler l’inoubliable duo Tézier/Sierra en octobre 2021 dans cette même production, cette nouvelle reprise met en lumière un très joli plateau globalement équilibré et fougueusement mené par la baguette chatoyante de Domingo Hindoyan.
Déjà présent dans le même rôle en 2021, Goderdzi Janelidze confirme son aisance en Sparafucile. Ses graves profonds et puissants siéent à merveille à ce trouble personnage et se marient de manière idyllique au timbre cuivré d’Aude Extremo dont la voix somptueuse, ample, sensuelle et envoûtante confère un rare relief à sa Maddalena superlative, personnage trop souvent injustement négligé dans les distributions.
© Benoite Fanton / OnP
Autre belle découverte de cette après-midi d’hiver, le magnifique Monterone de Blake Denson. La puissance vocale du baryton américain couplée à son impressionnante présence physique dessine un comte réellement inquiétant et on comprend parfaitement l’angoisse de Rigoletto lorsque ce dernier le maudit.
Le bouffon proposé par Roman Burdenko, plutôt volontairement gauche au premier acte, se révèle bouleversant dès que sa fille est évoquée : les tempi supersoniques du « Cortigiani », où le baryton russe déploie sa voix splendide et puissante, s’étirent soudainement pour la formule qui résume tout l’opéra et tout l’amour d’un père pour sa fille « Tutto al mondo mia figlia è per me ». Cette émotion ne cessera de croître tout au long de l’opéra pour atteindre son paroxysme lors de la mort de sa fille, Gilda, interprétée par la délicieuse Rosa Feola.
Si elle s’avère très légèrement gênée sur une ou deux notes à la fin d’un « Caro Nome » assez académique, la soprano italienne se métamorphose à partir de l’acte II et régale l’auditoire de son timbre cristallin. Elle cisèle intelligemment chaque inflexion du cœur de la jeune fille bafouée jusqu’à son sacrifice suprême pour sauver l’ineffable et inconstant Duc de Mantoue. Très engagé scéniquement, le Duc de Liparit Avetisyan ne démérite pas même si son timbre plaisant ne permet pas toujours de dissimuler quelques aigus un peu verts et un vibrato omniprésent.
Enfin il convient de souligner le timbre exquis de la Comtesse de Ceprano de Teona Todua qu’on espère entendre à nouveau dans un rôle un peu plus long
A mes côtés, un petit garçon de 11 ans saisit la main de sa mère lors de l’agonie de Gilda. Deux larmes glissent sur ses joues. Peut-être est-ce là, pour les artistes, la plus importante critique de cette reprise.