C’est un spectacle ébouriffant que propose l’Opéra Royal de Wallonie-Liège pour son ouverture de saison avec cette Traviata où l’héroïne campe une meneuse de revue dont l’éclat de façade, les perles et plumes cachent mal la lassitude.
Pour le lyricomane compulsif, il est assez troublant d’entendre Verdi lorsque tout lui indique qu’on est chez Offenbach, créant un joli pont entre ces univers qui ont bien en commun un certain désenchantement.
Le rideau s’ouvre sur un premier numéro déjà surprenant – puisque hors livret – où Flora chante une mélodie de Gyorza accompagnée au piano alors que les derniers spectateurs, figurants involontaires, s’installent encore dans la salle. Cette entrée en matière en forme de clin d’oeil – le ballet de ce compositeur, Alladin, avait été interprété en lever de rideau à la création de l’ouvrage – joue parfaitement son rôle de mise en abyme, de théâtre dans le théâtre, comme un écho à ce temps où les spectacles duraient la nuit entière et où le public allait et venait sans toujours se préoccuper du plateau.
Thaddeus Strassberger orchestre brillamment la Vie Parisienne étourdissante de l’héroïne : Le metteur en scène est également en charge des décors et des lumières; le cadre de la revue lui permet toutes les fantaisies : de Bollywood pour le chœur des bohémiennes à l’espagnolade de celui des matadors, tout fonctionne parfaitement dans ce cadre factice.
La débauche de couleurs, de danseurs réjouit l’œil d’autant plus qu’une direction d’acteurs attentive multiplie les actions secondaires. Le choeur de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège adhère volontiers à ces fantaisies sans se départir de son impeccable présence musicale.
Les costumes étourdissants de Giuseppe Palella envahissent une impressionnante salle à l’italienne ou l’escalier d’honneur se prête parfaitement aux chorégraphies très réussies d’Antonio Barone. L’excellente idée est surtout de nous faire sans cesse passer de l’effervescence de la scène au prosaïsme des coulisses – par un mur de miroirs descendant et remontant des cintres -, qui marque puissamment la dichotomie du personnage principal, son écartèlement entre être et paraître. Violetta porte d’ailleurs une traîne interminable ornée d’une vanité de fleurs, métonymie idéale de son nom et de sa destinée.
Etourdi, ne sachant où donner de la tête, le spectateur saisit avec d’autant plus d’acuité le contraste entre les aspirations intérieures de l’héroïne et sa vie dissolue : Alfredo arrive à point nommé pour enivrer cette âme tourmentée. Dmitry Korchak donne au jeune homme une belle crédibilité. Il bénéficie d’une lumière dans le timbre illuminant une projection impérieuse qui sait se teinter de tendresse et de doute.
Le ténor est annoncé souffrant, mais par capillarité, c’est plutôt Irina Lungu qui semble en difficulté. Il faut dire que la soprano se met perpétuellement en danger, multipliant les messa di voce qui cassent régulièrement. De même, les vocalises manquent de précision jusqu’à être clairement « savonnées ». La chanteuse compense ces fragilités techniques par un timbre superbement corsé aux aigus aussi impérieux que les notes poitrinées dont elle use avec une juste parcimonie. Touchante dès le « Strano », elle s’avère bouleversante dans l’acte final, en particulier dans « Addio del passato » qui naturellement, prend place dans le théâtre désormais abandonné.
Avant le duo final – tout tendresse et suavité – Alfredo et Violetta s’étaient aisément accommodés du décor très middle class du second acte, figurant sur une toile peinte une maison de banlieue des années soixante. Alfredo y astique ses clubs de golf en saluant les voisins en route pour une partie de tennis sans que son « De’ miei bollenti spiriti » en perde en sensibilité. Le cadre sert même fort habilement le propos lorsque cet espace rassurant disparaît, emporté par les déménageurs devant un Alfredo impuissant qui voit s’évanouir son rêve de bonheur. La confrontation entre Violetta et Germont y conserve également sa grandeur, servie par un Simone Piazzola à la présence vocale sans faille, au legato proverbial.
Autour de ce trio gravitent d’impeccables seconds rôles dont l’Annina attentive – très convaincante tant scéniquement que vocalement – de Marion Bauwens ; La Flora flamboyante d’Aurore Daubrun sans oublier les comparses de qualité incarnés par Francesco Pittari, Pierre Doyen, Luca Dall’Amico et Samuel Namotte.
Coté fosse, la baguette passionnée de Giampaolo Bisanti communique une belle énergie tout en nuances à l’Orchestre de l’Opéra Royal de Wallonie-Liège dont le sens de la ligne, l’équilibre des pupitres donne le frisson dès l’ouverture comme dans le lever de rideau du troisième acte, dense et recueilli.