Distribuer de jeunes chanteurs dans une œuvre majeure du répertoire verdien peut se révéler périlleux au regard de l’exigence des profils vocaux.
C’est pourtant le pari que fait le Festival Verdi pour ce Il ballo in maschera, monté au Teatro Verdi de Busseto, théâtre de poche de 300 places, qui en profite d’ailleurs pour faire alterner les titulaires des rôles principaux.
C’est un cadre idéal pour ces jeunes chanteurs afin de se frotter à ces grands rôles qui leur seraient sinon probablement hors d’atteinte à ce stade de leur carrière, d’autant que l’orchestre a lui-même rétréci au passage, réduit souvent à un instrument par pupitre (traitement radical qui appauvrit tout de même l’orchestration de Verdi malgré la fougue de l’Orchestra giovanile Italiana). La direction très mesurée de Fabio Biondi, que l’on n’attendait pas forcément dans ce répertoire, va dans ce sens, sans recherche absolue d’originalité, mais d’une attention maniaque aux chanteurs.
De fait, cet environnement permet au Riccardo de Davide Tuscano, plus clair et léger qu’habituellement, de s’épanouir, donnant une couleur juvénile au personnage. De plus, la ligne est élégante, et l’interprète est très à l’aise scéniquement, campant un comte dont l’exaltation apparente semble couvrir un certain mal-être (il faut dire que le spectacle commence dans une ambiance de lendemain de fête très arrosée !). Caterina Marchesini (Amelia) inquiète, elle, dans ses premières interventions à l’acte 1 avec des aigus serrés et surtout une justesse problématique. Heureusement tout rentre dans l’ordre dès l’acte 2 et la chanteuse affronte crânement la tessiture très étendue, avec des graves bien projetés. Son « Morrò ma prima in grazia » émeut et l’expérience permettra sûrement à la voix de se libérer davantage.
On sent cependant la fatigue qui gagne progressivement ces deux interprètes, qui doivent puiser dans leurs réserves pour achever le dernier acte, au détriment des nuances.
À l’applaudimètre, les deux triomphateurs de cette matinée sont sans conteste Renato et Ulrica.
La sorcière de la mezzo coréenne Danbi Lee, engoncée dans une robe à crinoline, est particulièrement effrayante avec ses quelques cheveux épars et ses yeux vitreux. La voix est au diapason, parfaitement projetée sur toute la tessiture avec un poitrinage bien dosé, qui donne un impact indéniable à ses imprécations.
Mais si nous ne devions retenir qu’un seul nom, ce serait celui de Lodovico Filippo Ravizza, Renato de très haut vol. Le timbre sombre et caressant, la voix puissante et enveloppante, capable d’éclats glaçants accrochent immédiatement l’oreille. Si le chanteur fait déjà carrière (sont notamment prévus des Giorgio Germont à Florence ou des Belcore à Turin) on lui prédit un avenir radieux, si tant est qu’il maîtrise quelques fragilités dans l’aigu.
Les autres protagonistes sont très bien distribués. On citera l’Oscar de Livia Piermatteo, soprano léger à l’acidité bien dosée, qui ose même des variations inhabituelles dans son air du dernier acte ou encore les deux conspirateurs, Tom (Lorenzo Barbieri) et Samuel (Agostino Subacchi) qui tirent de façon surprenante, mais avec un certain talent, le duo vers le comique.
© Roberto Ricci
La mise en scène dans un si petit espace relève de la gageure. Le défi est pourtant relevé haut la main par Daniele Menghini. Le dispositif scénique est relativement simple avec un hémicycle tout de tasseaux recouverts et un trône imposant à jardin, qui se transformera tout à tour en bouche de l’enfer ou en tombe. Ce décor se transforme grâce aux éclairages, tantôt teintes crues des néons, tantôt ambiance boîte de nuit pour le fameux bal, et aux accessoires où les crânes et les angelots tiennent une place prépondérante. L’atmosphère générale peut évoquer The Rocky horror picture show avec ses maquillages outranciers et ses costumes qui entretiennent un certain flou sur les genres, mais surtout la direction d’acteurs fluide et bien caractérisée permet une grande lisibilité de l’action sur scène, malgré l’espace restreint et bien rempli.