N’est pas Orange ou Epidaure qui veut. La Piscine du Sultan à Jérusalem, ce réservoir creusé par Hérode il y a deux mille ans pour récupérer l’eau de pluie, ne possède ni la configuration, ni l’acoustique la mieux adaptée au concert classique. Il a donc fallu, pour ce gala d’ouverture du 2e Israeli Opera Festival, aménager une scène, des gradins et sonoriser l’espace avec les inconvénients que cela pose en termes de relief et de volume. Dans ces conditions et dans un programme qui fait la part belle au grand répertoire italien, Giuliano Carella pousse son orchestre comme d’autres la chansonnette sans subtilité mais avec efficacité. A quoi bon en effet doser les effets, exalter les couleurs, nuancer quand tous les instruments sonnent à égalité et que les percussions et les cuivres écrasent les autres pupitres de toute leur masse.
Sur cet aplat sonore, les chanteurs doivent, eux aussi, composer avec d’autres paramètres que d’habitude : non plus la projection mais la capacité à conduire droit son chant dans un système qui en modifie les contours et en accentue les défauts.
Ainsi, le vibrato de Svetla Vassileva devient mouvement ondulatoire à large amplitude. D’autant que le répertoire choisi par le soprano bulgare la soumet à des tensions impitoyables. A écouter sa Madama Butterfly interroger l’horizon, on a le mal de mer et la prière de Tosca se confond avec le hululement d’une sirène de police dans le lointain. Restent – et c’est déjà beaucoup – le flux généreux d’une voix riche en harmoniques, un aigu affirmé, un engagement à toute épreuve et une silhouette avantageuse que sculptent une robe rouge dans la première partie puis jaune dans la seconde.
Soumise aussi à fluctuation par le dispositif sonore, Mariana Pentcheva renonce à ses notes les plus hautes dans l’air d’Azucena et compose tant bien que mal avec celles, tout aussi élevées, de Santuzza. Son tempérament et un registre grave opulent trouvent plus à s’épanouir dans « Reverenza! », le duo de Falstaff, où sa Mrs Quickly tente en vain d’animer le Pancione de Luiz-Ottavio Faria. En vain : la basse brésilienne a l’étoffe royale mais des semelles de plomb. Privé de dynamique et de dynamite, son « colpo di canone » est un pétard mouillé et son Rigoletto une concession barytonnale au programme. Seule l’ampleur d’« O tu Palermo » expose le temps d’un air les ressources d’une voix imposante.
Tout cela nous laisserait sur notre faim si la présence de Stefano Secco ne venait relever la saveur du festin. Dans une forme superlative, le ténor ose et rien ne lui résiste. Ni les élans des grands airs de Puccini que l’on aurait pensé hors de portée (paradoxalement, c’est dans le plus lyrique d’entre eux, « Che gelida manina » que le chanteur semble le moins à l’aise), ni la hauteur des sons. Qu’ils soient graves, aigus, forte ou piano, ils sont balancées d’une voix égale, avec une assurance confondante. La ligne, somptueuse, n’en oublie pas l’expression. Les mots sont mordus ou au contraire enjôlés selon le sens. A soumettre ainsi son instrument à rude épreuve, on craignait que le lyrisme juvénile d’Alfredo ou celui, léger, d’un Duc de Mantoue énamouré, ne viennent en fin de programme payer les pots cassés par trop d’efforts. Mais rien ne résiste à Stefano Secco qui a gardé sa souplesse de jeune homme et là aussi semble touché par la grâce. Le « libiamo » de La Traviata, offert en bis comme toujours en de pareilles circonstances, consacre la suprématie du ténor face à un public, apparemment peu habitué à tant de démonstrations vocales.