Moment d’exception à Saint-Étienne : ce soir, avec une finesse et une sensibilité que l’âge ne fait que confirmer, le grand Alberto Zedda dirige l’œuvre avec laquelle il débuta en 1956 et dont il a donné, depuis, l’édition critique rétablissant Le Barbier de Séville dans son état original. L’ouverture est subtile, aérienne, exempte de tout clinquant comme d’effets trop appuyés. Redonner fraîcheur à une œuvre aussi connue est un défi qui est relevé ici avec une éblouissante maestria.
Repris sur la scène du Grand Théâtre Massenet de Saint-Étienne après celui de Genève en septembre dernier (voir recension), le décor immense et pittoresque imaginé par Paolo Fantin en 2010, avec son immeuble pivotant, son bar Barracuda et ses ruelles sévillanes, est ici plus impressionnant encore en raison de la disposition de la salle. Le spectateur n’est plus tenu à distance par un effet de contre-plongée, il entre de plain-pied dans l’univers déjanté et maîtrisé à la fois d’une mise en scène virevoltante et tournoyante, dont le vertige le gagne d’autant plus vite qu’il est sous le charme de voix qui frisent – et pour certaines atteignent – la perfection. Le spectacle soutient en effet la gageure de réunir cinq excellents interprètes pour les rôles principaux, accompagnés de valeurs sûres dans les rôles secondaires, et communique ainsi un plaisir rare que la direction d’acteurs et les talents scéniques des chanteurs ne font que redoubler. Marc Scoffoni est un Fiorello de luxe, tant la qualité de son phrasé et la beauté du timbre laissent entendre de ressources, Françoise Delplanque compose une Berta crédible et attachante.
Sous son apparence juvénile, l’Almaviva de Philippe Talbot recèle des trésors de subtilité et de maturité vocale que la souplesse du jeu scénique accompagne avec une sorte d’évidence. Après l’air « Cessa di piu resistere », c’est même un tel triomphe que le public espère obtenir un bis : mais en dépit du rappel demandé avec insistance, le chef agite les bras pour demander le silence, qui tarde d’ailleurs à se faire, afin de permettre à la musique de reprendre. Nous ne sommes pas à l’Opéra Bastille. C’est aussi qu’il faudrait allonger démesurément un spectacle déjà connu dans le répertoire pour sa durée. D’autant que pendant cet air, la mise en scène prévoit un gel de la situation : les autres personnages sont figés – dans des poses hilarantes -, comme pour illustrer la suspension du temps que signifie l’air dans le déroulement de l’action. Et puis il faudrait aussi demander des bis à Gaëlle Arquez, merveilleuse Rosina aux graves somptueux et parfaitement à l’aise dans les notes les plus aiguës, au très alerte Giulio Mastrototaro, impeccable Bartolo, avec presque trop de prestance pour le rôle, à Wojtek Smilek, Basilio pince-sans-rire doté d’une voix cuivrée, irrésistible de drôlerie. Et que dire du Figaro de Florian Sempey sinon « Ah, bravo, Florian Sempey, bravo, bravissimo ! ». Le chanteur, méconnaissable sous son maquillage et son costume, est proprement époustouflant. Qualité du timbre, homogénéité de la voix, précision de la diction et du phrasé, longueur de souffle, tout cela avec une aisance et une énergie physiques qui donnent l’impression d’animer tout le spectacle, comme pendant ce passage où le décor figurant l’immeuble tourne plusieurs fois sur lui-même, tel un manège actionné par les chanteurs – et surtout par Figaro lui-même.
La très belle exécution de l’orchestre Lyrique Saint-Étienne Loire et la qualité des chœurs sont à l’unisson de la qualité générale d’une représentation excellente, dans un ensemble plus tournoyant et plus drôle encore que dans ses précédentes reprises sur d’autres scènes.