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VIARDOT, Cendrillon – Lausanne

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Spectacle
5 novembre 2023
L’avenir commence maintenant

Note ForumOpera.com

3

Infos sur l’œuvre

Détails

Pauline Viardot (1821-1910)
Cendrillon
Opéra comique en trois tableaux
Livret de Pauline Viardot, orchestration de Didier Puntos
Première représentation le 23 avril 1904, dans les salons de Mlle Mathilde de Nogueiras

Mise en scène
Gilles Rico
Décors
Bruno de Lavenère
Costumes
Karolina Luisoni
Lumières
Denis Foucart

Marie (Cendrillon)
Nuada Le Drève
Le baron de Pictordu
Rémi Ortega
Le Prince Charmant
Maxence Billiemaz
Maguelonne
Aurélie Brémond
Armelinde
Ludmila Schwartzwalder
La Fée
Emma Delannoy
Le Comte Barigoule
Jean Miannay

Orchestre de la Haute Ecole de Musique de Lausanne
Direction musicale
Marc Leroy-Calatayud

Huit représentations du 3 au 12 novembre 2023

Opéra de Lausanne
3 novembre 2023, 19h00

Les enfants méritent d’être considérés avec le même respect que les adultes, d’autant qu’ils sont (on espère) le public de demain. L’Opéra de Lausanne s’en donne les moyens. On avait évoqué ici le très remarquable Pinocchio de Gloria Bruni créé l’année dernière. Cette Cendrillon de Pauline Viardot le démontre à nouveau.
Il s’agit de la reprise d’un spectacle créé il y a cinq ans, avec une distribution complètement nouvelle ou presque, formée de jeunes chanteurs et de musiciens issus de la Haute Ecole de Musique de Lausanne. Tous sous la direction du brillant et tout aussi jeune Marc Leroy-Calatayud, pareillement enfant du pays. On sent derrière cela la main (énergique) et le tempérament (bien trempé) d’Eric Vigié, directeur de cette maison où il accomplit sa dernière saison. Miser sur la jeunesse (des artistes et du public) et reprendre un spectacle (en ces temps sinon de disette, du moins d’interrogation sur l’avenir), cela semble de bonne politique.

Pauline Viardot © DR

Cette Cendrillon est un péché de vieillesse de la grande artiste. On peut imaginer Pauline Viardot dans son grand appartement du faubourg Saint-Germain, s’amusant à cette pochade, qui allait être créée le 23 avril 1904 dans le salon de l’une de ses anciennes élèves, Mlle Mathilde de Nogueiras (qui veillerait sur elle jusqu’à sa mort en 1910).

Pauline Viardot, fille de Manuel Garcia et sœur de Maria Malibran, avait fait la carrière que l’on sait, créé l’Orphée de Gluck-Berlioz, le Sapho de Gounod et la Rhapsodie pour alto de Brahms ; elle avait tenu salon à Baden-Baden durant le long exil que son mari Louis Viardot et elle s’étaient imposé durant le Second Empire.
C’est là que sur des livrets de Tourgueniev, son ami de cœur, le Moscove comme disait Flaubert, elle avait concocté, outre ses mélodies « toscanes », « russes » ou hispanisantes (Garcia oblige), quelques opérettes, Trop de femmes, L’Ogre, Le dernier Sorcier… dont son amie Clara Schumann écrivit à Brahms que la musique en était « intelligemment écrite, délicate, légère, aboutie, et si pleine d’humour : une vraie merveille ». Brahms, convaincu peut-être, tint même la partie de piano pour l’une des présentations de ce Dernier Sorcier… Tant et si bien que certaines des idées musicales en furent récupérées pour Cendrillon, qui fut édité chez Miran l’année même de sa création. Partition au-dessus de laquelle planent les ombres souriantes d’Offenbach et d’Hervé. Qu’on entend à Lausanne dans une orchestration de Didier Puntos.

Nuada Le Drève © Cyril Zingaro

En 2008, lors de la première présentation de ce spectacle, Didier Puntos déclarait à nos confrères du journal Le Temps :

« Que se permet-on, jusqu’où va-t-on? Si on se contente de distribuer la partie de piano à douze instruments, ça n’a aucun sens. Transposer l’univers tel quel, ce serait là une trahison. Il faut garder l’esprit de l’œuvre, respecter les fondamentaux mélodiques, harmoniques, rythmiques, mais en étoffant la musique, en la faisant exister différemment. J’ai donc retravaillé les thèmes de manière très libre, en jouant beaucoup sur les relais, la discussion entre les musiciens. Mais évidemment j’espère ne pas avoir mis de moustache à la Joconde… […] Sans jouer le pastiche ou l’ersatz de Pauline Viardot, j’ai pris le parti d’écrire des choses entièrement de ma plume, en veillant à ce que la couleur, la pulsation, la texture soient les plus cohérentes possibles avec l’ensemble: des postludes notamment, pour certains airs qui se terminaient très abruptement, à coups de huit mesures par-ci, huit mesures par-là. Et puis Gilles Rico avait une idée de mise en scène très claire et m’a demandé de développer le début du troisième tableau, sur cinq ou six minutes, en mettant notamment en musique un cauchemar de Cendrillon. J’ai repris l’air d’ouverture et l’ai rendu méconnaissable ! »

Douze musiciens (un quatuor à cordes augmenté d’une contrebasse, cinq vents, des percussions et un piano), offriront une palette de sonorités acidulées ou tendres, mettant en valeur les nombreux rythmes de danses qui parcourent la partition.
Et la ravissante ouverture en sera le premier exemple, basson, hautbois, flûte sur des frôlements de contrebasse et des ponctuations de piano d’un style très français, à la Poulenc (celui de l’Invitation au Château ou à la Jean Françaix), dont le thème sera celui de la chanson de Cendrillon, manière de mélodie emblématique qu’elle chantonnera en balayant : « Il était jadis un prince qui voulait se marier…. »

Aurélie Brémond, Ludmila Schwartzwalder, Maxence Billiemaz, Nuada Le Drève © Cyril Zingaro

La mise en scène de Gilles Rico, poétique, vive, élégante, garde – les rires des enfants le soir de la première en attestent – toute sa puissance d’émerveillement. Des décors (de Bruno de Lavenère) qui s’envolent, une bonne fée qui plane dans l’air, baguette magique à la main, de drôles de costumes (de Karolina Luisoni) dans des couleurs de confiserie, beaucoup de clins d’yeux et de trouvailles comme cette chambre d’adolescente d’aujourd’hui qui est la première image : Marie s’endort en songeant à sa mère morte et le rêve commence…
Les murs de la chambre disparaissent dans les cintres, le lit décolle du sol pour emmener la petite jeune fille vers un salon de château, dont les lambris encadrent des images de forêt. Des créatures fantomatiques surgissent pour recouvrir son débardeur et son jean d’adolescente d’aujourd’hui d’une robe en loques et d’un vertugadin délabré.

Sa chanson mélancolique sera interrompue par le surgissement d’un mendiant (Maxence Billiemaz) dont on devine sans peine que la fausse barbe et l’accoutrement cachent le visage et la silhouette aimables du Prince Charmant. Le pauvre hère est bien sûr reçu comme un chien par Maguelonne et Armelinde, les demi-sœurs de Cendrillon, deux pimbêches, alors que Cendrillon lui donne ses maigres économies. Le crâne de Maguelonne est flanqué de deux coquenichons de cheveux parme partant à l’horizontale, tandis que celui d’Armelinde est pyramidalement surmonté d’un coquillage capillaire rosâtre, avec tenues d’intérieur assorties. Leur père, le baron de Pichegru, toque rouge, culotte rose, est non moins extravagant.

Emma Delannoy © ©yril Zingaro

L’abattage et comment l’avoir

Pauline Viardot prend le parti de remplacer la méchante marâtre par ce personnage de beau-père ridicule, où Rémi Ortega peut se régaler dans un joli numéro de jeu « au public ». Ce répertoire d’opérettes ou de comédies « à couplets » héritées de Labiche ne fonctionne qu’avec des chanteurs-acteurs cultivant, comme lui, le second degré et la complicité avec la salle.
Jean Miannay, qui joue ici le Comte Baricoule, le chambellan rondouillard du Prince, autre personnage bouffe, fait lui aussi une démonstration de jeu « chargé » aux effets assurés. L’un baryton (Remi Ortega), l’autre (Jean Miannay) ténor « de caractère », font passer le tempo à une vitesse supérieure, dès qu’ils apparaissent. Et, outre leur abattage de comédiens, tous deux ont la projection, le phrasé et l’articulation qu’il faut. Leurs dialogues parlés sonnent justes (alors que certains de leurs partenaires disent joyeusement faux, très opéra-comique old school……)

Des valses 1900 partout

On connaît l’histoire : surgissent bientôt un svelte chambellan (le clochard-prince) et un prince à la silhouette rebondie (son chambellan travesti), l’invitation, le départ pour le bal des deux sœurs en tenues de gala… Joli trio autour de la valse de Cendrillon « Je vous donne mon temps, je vous donne mes soins… », valse 1900 à demi mélancolique et très café-concert. « Ma petite chanson n’est pas bien gênante », chante Nuada Le Drève, joli timbre de soprano, qui prendra de l’assurance au fil de la représentation. Aurélie Brémond (Maguelonne) et Ludmila Schwartzwalder (Armelinde) ont à conjuguer leurs personnages caricaturaux (elles y vont carrément) et des parties vocales où Viardot ne les ménage guère, d’où parfois des notes un peu acides et des phrasés un rien chaotiques.

© Cyril Zingaro

Quatrième voix féminine, et à qui on devra de bien jolies vocalises, celle d’Emma Delannoy (la Fée). D’autant plus méritoires que cette bonne fée descend des cintres suspendue par haubans et baudrier, dans des flots de voiles bleus… Formules magiques un peu engourdies, baguette un peu rouillée, elle aura du mal à transformer la citrouille en carrosse (explosion et fumée en coulisses quand ça marchera), les souris en chevaux gris et le rat en cocher. Ici jolies trouvailles, notamment le défaut de réglage du rat (un énorme museau apparaîtra derrière une porte), ou les lézards tombant des cintres (bruits mats de caoutchouc) quand la fée les réclamera pour en faire quatre laquais…

Théâtre à machines

Si la distribution se limite à sept chanteurs, c’est une armada, trois fois plus nombreuse, de machinistes qui saluera à la fin. Gilles Rico joue à plaisir l’enchantement théâtral pour donner du pep et de l’humour à une intrigue rebattue, de même que l’orchestration bigarrée de Didier Puntos transfigure les gentilles mélodies de Pauline Viardot. Ainsi les couplets du baron, « Hier je vis circuler une voiture immense », où il révèle qu’avant d’être anobli il fut épicier, et qui sonnent franchement café-concert, et Marc Leroy-Calatayud à l’évidence s’amuse à souligner le trait. Mais il met aussi en valeur de très jolies couleurs d’orchestre, dans le registre du merveilleux pour accompagner les trilles de la fée gazouillant « ce petit cœur qui tant soupire bientôt connaîtra le bonheur » (le livret est de la chère Mme Viardot, le bon Tourgueniev n’était plus là…)

La scène du bal au palais enchaînera les bouffonneries, dont une romance parodique du brave Barigoule déguisé en Prince, où Jean Miannay mine de rien, pourra montrer la belle vigueur de sa voix, puis un divertissement débridé où le Baron chantera sur un rythme de fandango la gloire du jambon de Bayonne (!), espagnolade où il sera suivi par les deux pimbêches tricotant allègrement la vocalise comique.

Rémi Ortega © Cyril Zingaro

Souvenir de Saint-Saëns

Dans sa robe de princesse de conte de fée, Cendrillon, elle, profitant de la liberté que Viardot lui accorde de chanter ici une page ad libitum choisira la vocalise de Rachmaninov, ce qui amènera enfin le duo amoureux entre le Prince (toujours en costume de chambellan à brandebourgs) et Cendrillon : « C’est moi, ne craignez rien, écoutez ma prière »… « depuis que je vous vis je vous donnais ma vie… », aimables vers de mirliton sur un rythme de valse lente, qui permettront d’entendre mieux le timbre de Maxence Billiemaz et leur deux voix se mariant dans d’assez jolies demi-teintes (les forte en revanche n’auront peut-être pas toute l’aménité qu’on aimerait). Les douze coups de minuit ont sonné…

Bel effet d’orchestre au début du troisième acte avec les variations tempétueuses de Didier Punto, sur le thème de la chanson de Cendrillon pendant que les personnages cauchemardesques masqués de blanc qu’on a déjà vus terrassent la pauvre petite. Et belle efficacité des douze musiciens de la HEM dans cette page aux sonorités solides. Et juste après dans une séquence (contrebasse puis flûte) qui fait penser au Saint-Saëns du Carnaval des animaux (Saint-Saëns fut l’un des amis les plus fidèles de Pauline Viardot).

Emma Delannoy © Cyril Zingaro

Mme Viardot se moque

Jolie trouvaille, la scène entre le Baron et Barigoule : une manière de scène de reconnaissance, pastiche résolu d’un grand opéra français à la Halévy ou Saint-Saëns : « Est-ce vous ? C’est bien moi, etc. » Ortega et Miannay font cela très bien, avec toute la grandiloquence qui s’impose avant une cabalette à l’unisson, tonitruante juste ce qu’il faut. On imaginait pas l’aimable Mme Viardot si caustique. Puis sur une noble marche le Prince fera son entrée pour la scène de la pantoufle de vair (de paillettes en l’occurrence), scène de comédie ponctuée de commentaires ironiques des vents. On connait la suite… Les ponctuations deviennent valse (basson et piano) et tandis que le fond de scène s’illumine d’étoiles, revoici la bonne Fée…

Ici, nous l’apprendrons plus tard, la Fée aurait dû faire une nouvelle apparition suspendue… Hélas, la mécanique était tombée en panne… Il avait fallu la délivrer en hâte de son baudrier, la faire redescendre au niveau du plateau, pour qu’elle entre (à pied) faire ses dernières vocalises (jolies d’ailleurs) comme si de rien n’était, à peine essoufflée mais le cœur battant, sur un frémissement des violons et des arpèges du piano… The show must go on
« Je viens pour la dernière fois », chante-t-elle, préludant au chœur final, résolument en majeur…..Cendrillon quitte ses oripeaux, rejoint son lit, les murs de la chambre redescendent et elle redevient Marie, tandis qu’ironiquement le gros rat pointe son museau dans le miroir au dessus d’elle.

Point final d’un très joli spectacle qui sera donné encore six fois devant des salles combles. De jeunes voix, certaines en train d’évoluer encore, seul (léger) bémol, mais tant de soin, d’enthousiasme aussi, sont à saluer. Comme la démarche de fidéliser un tout jeune public. Démarche qui se poursuivra, on veut croire.

Et puis, penser aux enfants, dans la période que le monde est en train de traverser, c’est peut-être ce qu’on peut faire de mieux.

 

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