Pour célébrer son vingtième anniversaire, la série Les Grandes Voix avait prévu un concert auquel devaient participer quelques uns des artistes qui avaient contribué, ces dernières années, à son renom, ainsi que de jeunes interprètes aux débuts prometteurs. Mais c’était sans compter sur une série de défections en cascade : ainsi, Rolando Villazon et Natalie Dessay, initialement prévus, avaient dû se retirer du projet et Luca Pisaroni, souffrant, a été contraint de déclarer forfait à la dernière minute. C’est donc essentiellement sur les épaules de la nouvelle génération que reposait le succès du concert qui comportait deux parties bien différenciées : un Liederabend réunissant divers solistes et instrumentistes, suivi d’un récital d’opéras avec orchestre, entièrement consacré à Mozart, du moins pour les passages chantés.
Très en beauté, dans une somptueuse robe bleu ciel, Nathalie Manfrino ouvre la soirée en interprétant deux mélodies de Fauré avec une délicatesse infinie et une diction impeccable : « Après un rêve », tout en nuances, est nimbé d’une mélancolie à fleur de voix et « Clair de lune », où le timbre lumineux de la soprano dialogue avec le violon discret de Saténik Khourdoïan, est distillé avec un art accompli du legato, autant de qualités qui se retrouvent dans la célèbre Élégie de Massenet où, cette fois le violoncelle de Yan Levionnois lui donne la réplique. Après l’entracte, la cantatrice campe une Fiordiligi de grande classe. Son « Per pietà » notamment, où l’élégance de sa ligne de chant fait merveille, montre à quel point la musique de Mozart sied bien à sa voix.
Deux cantatrices à l’orée de leur carrière se partagent ensuite un groupe de Lieder de Richard Strauss. Clémence Barrabé fait preuve d’une belle musicalité dans « Als mir dein Lied erklang », même si le timbre, encore un peu vert, est affecté de quelques sonorités acides dans l’aigu. Dans la seconde partie, son « Marten aller Arten », chanté avec aplomb et une technique sans faille, convainc davantage et lui vaut une ovation bien méritée. Mojca Erdmann, nouvelle recrue du label Deutsche Grammophon, pour lequel elle a gravé récemment un récital consacré à Mozart et ses contemporains, séduit d’emblée dans les trois mélodies qui lui sont dévolues, notamment « Morgen » qui convient idéalement à son timbre frais et juvénile. Cependant, dans la partie dédiée à l’opéra, son air d’Ilia, un rien scolaire, trahit un manque de maturité que la cantatrice devrait pouvoir corriger avec l’expérience de la scène.
Bernard Richter, qui fut la révélation de la récente reprise d’Atys à l’Opéra-Comique, conclut brillamment le premier volet du concert avec quelques Lieder de Schumann, notamment quatre extraits du Dichterliebe, impeccablement phrasés, où son timbre clair évoque avec bonheur la jeunesse du poète amoureux. « Im Rhein, im heiligen Strome » est chanté avec autorité et l’émotion qu’il instille dans « Ich grolle nicht » nous fait regretter de ne pas entendre le cycle entier, tant le ténor excelle à différencier les affects propres à chaque Lied. De Mozart, il ose, en seconde partie, l’air de Ferrando « Ah, lo veggio », souvent coupé au théâtre, dont il surmonte les difficultés avec aisance. Tout au plus pourrait-on lui reprocher de chanter l’air entier avec une voix claironnante, sans y mettre beaucoup de nuances, petit défaut qui s’estompe dans le duo qui suit, face à la troublante Fiordiligi de Manfrino.
Maciej Pikulski accompagne l’ensemble de ces mélodies avec le talent qu’on lui connait et une justesse de style irréprochable, tout comme dans les pièces qu’il joue en solo, notamment la belle paraphrase de Rigoletto de Liszt.
Dans la seconde partie de la soirée, Lawrence Zazzo livre une interprétation spectaculaire de « Venga pur, Minacci e frema », extrait de Mitridate, dont il exécute avec brio les périlleuses ornementations. En revanche, on se demande pourquoi le ténor Arturo Chacón-Cruz, doté d’une voix ample et d’un timbre chatoyant, a choisi, pour son unique contribution à cette soirée, l’air d’Idoménée « Fuor del mar » qui trahit son incapacité à exécuter proprement les vocalises acrobatiques que comporte cette page. De fait, celles-ci sont systématiquement savonnées et le chanteur est à la peine.
Remplaçant au pied levé Luca Pisaroni souffrant, Markus Werba campe un Papageno haut en couleurs, tant dans son air que dans le duo « Bei Männern, welche Liebe fühlen », où Mojca Erdmann espiègle à souhait, trouve en Papagena un emploi tout à fait adapté à ses moyens actuels.
Frédéric Chaslin dirige avec tact et précision un Ensemble Orchestral de Paris en bonne forme.
Entre deux airs d’opéras, les frères Capuçon obtiennent un succès amplement mérité avec la trop brève Passacaille de Haendel, extraite de la Suite en sol mineur pour clavecin, dans la transcription pour violon et violoncelle du compositeur norvégien Johan Halvorsen.
En bis, nous aurons droit à une version inédite du celèbre « La ci darem la mano » chanté par toute la troupe, soit quatre Don Giovanni et trois Zerline, qui s’amusent comme des petits fous, dans une ambiance bon enfant et concluent avec un délicieux clin d’œil cette soirée éminemment festive.