Ni la mise scène de Robert Carsen, montrée la saison dernière à l’Opéra National du Rhin, ni Elena Tsallagova, qui a déjà brillé dans le rôle-titre il y a cinq ans, n’ont attiré la critique (inter)nationale à la première lilloise de La Petite Renarde rusée. Mal lui en a pris. Déjà vu ? Déjà entendu ? Certes. Mais séparément. La réunion des deux s’avère rien de moins que magique.
On n’ajoutera que peu de choses aux commentaires déjà formulés Laurent Bury à propos du travail du Canadien. Le vallon où il situe l’action, au fil des saisons, n‘a pas changé. Insistons toutefois sur les costumes des renards, petits et grands : pas de pelage, donc, mais des sweats à capuche qui accentuent, mine de rien – mais à juste titre –, l’anthropomorphisme des goupils voulu par Janáček. En effet, seul le rythme de la vie – la brièveté de l’existence animale, et les réflexions métaphysiques auxquelles les humains ont le temps de se livrer – différencie finalement les deux mondes tels qu’ils s’interpénètrent ici. Pour le reste, le compositeur métaphorise, à travers Finoreille, les principaux moments de la destinée d’une femme : prise de conscience du corps et de son pouvoir de séduction, découverte de l’amour (y compris sexuel), maternité/gestation, parentalité ; le tout musicalement lié par la tonalité de ré bémol*. La nostalgie inhérente à l’œuvre ? On la trouve dans les éclairages, plus que dans la direction d’acteur. On regrette seulement l’absence de grenouille, qui, à l’acte I, oblige un renardeau à… coasser.
Cinq ans après Bastille, Elena Tsallagova, habite (encore) totalement le rôle de Finoreille. Tant vocalement (quel fruité !) que physiquement (quelle agilité !). En un mot : irrésistible. D’un bout à l’autre. Qu’elle harangue les poules ou fricote avec le Renard, les notes, les mots, les œillades et le langage corporel participent à la perfection de son incarnation de la créature. Difficile, même, d’exister à ses côté tant la mutine soprano « crève l’écran ». Jurgita Adamonyte, Echine-d’or vaillant, y parvient tout juste. Oliver Zwarg campe un rustre Forestier plein d’humanité. La partie de carte à l’auberge, aux côtés de l’instituteur guindé d’Alan Oke et du curé au rire gras de Krzysztof Borysiewicz, idéal janáčekien, nous plonge directement dans l’univers des scènes de beuverie des romans de Jaroslav Hašek ou, plus tard, de Bohumil Hrabal. Difficile de tomber plus juste. Le solide Derek Welton convainc tout autant sous la coiffe d’un Harašta issu du peuple et bas de plafond. Si l’intonation des enfants n’est pas toujours parfaite – la faute à un compositeur trop exigeant avec eux –, les rôles secondaires sont très joliment caractérisés.
Last but not least, il faut souligner le travail exceptionnel de Franck Ollu au pupitre d’un orchestre en grande forme (on lui pardonne bien sûr quelques accros sans importance. Ils seront probablement corrigés au fil des soirs). Le Français articule, colore, timbre, infléchit chaque note à la manière des plus grands interprètes de Janáček (les cordes !). A n’en pas douter, la pratique assidue de la musique contemporaine l’y aura aidé. Du grand art !
* Lire à ce sujet notre article « Sur la piste de la Renarde » dans La Petite Renarde rusée, programme de l’Opéra National du Rhin, saison 2012-2013, p. 42-47