Les Rencontres Musicales d’Evian font la part belle à toutes les musiques et la Grange au Lac résonne cet après-midi de l’enthousiasmante proposition du Consort qui, sous ce titre « Teatro Sant’Angelo » donne à entendre la musique voulue par Vivaldi dans ce lieu disparu dont il était l’impresario, c’est-à-dire le programmateur.
La connivence entre les musiciens et la mezzo, Adèle Charvet, est évidente, tout comme la maîtrise de ce répertoire enregistré l’an passé.
Le programme, impeccablement construit, décline tout l’arc en ciel des émotions humaines, porté par une chanteuse en état de grâce. Formidable comédienne qui incarne chaque caractère avec autant d’implication que de talent, la jeune femme est également une superbe chanteuse, autant à l’aise dans le cantabile que dans les airs brillants. Les ornements sont abordés avec inventivité et précision, les coloratures pyrotechniques négociées avec autant de naturel que d’aisance.
Pour ébouriffantes qu’elles soient, ces vocalises ne sont jamais gratuites, toujours motivées par l’état d’esprit du personnage dont les états d’âme sont parfaitement perceptibles.
Cela s’avère patent avec Antonio Vivaldi dès le « Siam navi », extrait de l’Olimpiade où le large ambitus n’empêche jamais l’impeccable unité des registres, comme plus tard avec le volcanique « Alma oppressa » d’une énergie proverbiale, aux mélismes étourdissants.
L’émotion nous étreint avec « Sovvente il sole ». Là, dès la magnifique introduction orchestrale, l’artiste vibre de sentiment contenu et silencieux avant que sa voix ne s’entremêle avec le superbe violon de Théotime Langlois de Swarte dans une harmonie pleine de magie.
« Gelido in ogni vena » pour sa part, constitue sans doute l’acmé de la représentation avec des graves bien ancrés, verticaux, aussi noirs que l’angoisse qui étreint Farnace, avant que la seconde partie, toute en retenue et piani, ne distille une infinie tendresse.
L’Ensemble le Consort participe naturellement pleinement à cette réussite avec un sens de la tension dramatique, une gestion des contrastes, des nuances, des couleurs, proprement enthousiasmants. L’énergie le dispute à la précision et à la sensibilité tout au long de la séance, dans les airs accompagnés comme dans les deux Concerti de Vivaldi. Dans le premier – en ré mineur – ce qui frappe, c’est la joie manifeste des interprètes à jouer ensemble ; ces sourires qui soulignent une nuance, phrase particulièrement séduisante… Dans le second – en ut majeur – la première partie est particulièrement réussie ; dense, recueillie, avec une attaque des cordes appuyée et charnelle.
Le programme permet également de découvrir des raretés tout aussi ambitieuses comme le décoiffant « Astri aversi » de Fortunato Chelleri, au style toujours impeccable ; le « Nell onda chiara » de Giovanni Alberto Ristori à la ligne vocale si pure, ou encore « con favella de’pianti » du même compositeur, dont les enflés délicats, les beaux sons fêlés ne sont pas tout à fait droits mais chargés d’un léger vibrato qui palpite comme un cœur à nu.
La moitié de la salle est remplie des scolaires de la commune qui ont bien du mal à intégrer le concept de da capo et applaudissent à tout rompre mais pas toujours à bon escient. Cela n’empêchera pas l’orchestre de conserver sourire et concentration, ni l’ensemble du public de se lever finalement pour mieux manifester son enthousiasme.
Une générosité proverbiale se dégage de ce magnifique concert à découvrir au disque ou en tournée au Hindsgvl Festival (Danemark) le 5 juillet prochain, au festival Notre Dame de Vie de Mougins le 11, à Ambronay le 21 septembre avant un dernier feu d’artifice au Concertgebouw d’Amsterdam le 29.