Pour sa dix-neuvième saison, le festival de Garsington propose son habituel mélange « maison » : une base classique avec la reprise de Cosi fan tutte, un zeste de modernité avec The rake’s progress, une dose de bel canto avec cette création mondiale de l’édition critique de L’Incoronazione di Dario (1).
Déjà mise en musique au moins deux fois (par Freschi en 1684 et par Perti en 1689), le livret d’Adriano Morselli nous compte les déboires tragi comiques de Statira, fille aînée (passablement écervelée) de Piro et héritière légitime du trône et, par conséquent, objet de toutes les attentions des hommes du voisinage. L’ouvrage commence par une intervention du fantôme de Piro : ses filles (Statira et Argene la cadette) doivent cesser de se lamenter. Leur tuteur, le philosophe Niceno, les y encourage également tandis que Dario est introduit par la confidente Flora. Dario est amoureux de Statira, tandis qu’Argene a le béguin pour ce dernier. Pour l’épouser, elle imagine conquérir le trône pour elle-même, tandis que l’innocente Statira s’interroge sur ce que peut bien signifier le mot « mariage ». D’autant que les prétendants se multiplient avec l’arrivée d’Oronte et d’Arpago, prêts à en découdre pour la main de la belle héritière. Tout cela ne fait pas les affaires d’Alinda, amante éconduite d’Oronte. Celui-ci croit pouvoir compter sur le soutien d’Argene (la sœur de Statira : faut suivre, s’il vous plait). N’oublions pas Niceno qui, amoureux de Statira, vient en aide à Argene dans ses projets d’épouser Dario.
Au deuxième acte, Dario (qui n’a visiblement pas bien mesuré la situation) implore l’aide d’Argene pour gagner le cœur de sa sœur : en contrepartie, celle-ci lui demande d’écrire de sa main (elle est trop faible, la pauvre) une lettre d’amour. Flora montre la lettre à Statira, celle-ci étant bien entendu présentée comme une déclaration d’amour de dari à Argene. A ce stade du récit, Statira interroge son précepteur : peut-on promettre sa main à plusieurs soupirants ? Ce serait quand même plus pratique. Et Statira promet le mariage à Arpago et à Oronte. Pas contrariante, elle promet également la main d’Oronte à Alinda, pas du tout d’accord. Pour achever la confusion, Statira offre à Dario de l’épouser. Celui-ci, mis au courant des procédés de la jeune fille, est prêt à en découdre avec tous ses rivaux.
Le dernier acte est d’autant plus confus qu’à l’entracte, le champagne coule davantage que l’aspirine. Arpago et Oronte se battent pour Statira. Pendant ce temps, Niceno et Flora attirent Statira dans la forêt (soi-disant pour qu’elle y retrouve Dario), en réalité pour la livrer aux bêtes sauvages. Repoussant les avances d’Argene (qui a tout combiné), Dario se rue au secours de Statira (et nous passons sur les détails …). Croyant au succès de sa ruse, Argene se couronne reine, mais elle est surprise par le retour de sa sœur. Tout le monde est pardonné ou va en prison, Dario épouse Statira et devient roi (d’où le titre). Quant à Oronte, il répare ses torts vis-à-vis d’Alinda. Ouf !
Créer pour le carnaval de Venise de 1717, l’ouvrage de Vivaldi ne se prend bien évidemment pas au sérieux et la distribution réunie par Garsington, quoique très correcte, ne cherche pas à reconstituer des fastes vocaux surhumains. Les ténors Paul Nilon en Dario et Nicholas Watts en Oronte n’appellent que des éloges : certes les moyens ne sont pas celles d’antiques gloires de Pesaro, mais les vocalises sont assurées, les voix homogènes, les variations intelligentes couronnées de quelques beaux suraigus.
On voudrait pouvoir en dire autant des deux filles de Piro, Renata Pokupic en Statira et Wendy Dawn Thompson en Argene, loin d’être indignes, mais dont les limites vocales ne leur permettent pas de rendre pleinement justice à leur partie. Sophie Bevan est bien davantage impressionnante en Alinda. Katherine Manley, seule personnage travesti est scéniquement époustouflante et vocalement parfaite : dommage que le rôle ne soit pas davantage développé. Russell Smythe et Ana Graca (qui remplace au pied levé la titulaire Antonia Sotgiu) se laissent oublier.
Spécialiste de ce répertoire, Laurence Cummings imprime à l’ouvrage l’énergie nécessaire (le programme ne précise pas comment la formation orchestrale – à la base sur instruments modernes – a été éventuellement adaptée). Dans un décor unique modulable, David Freeman a conçu une mise en scène sans temps mort teinté de cet humour anglais caractéristique des lieux. Sans être la redécouverte du siècle, ce rare opus vivaldien nous fait finalement passé une bien agréable soirée.
1. Même mélange l’année prochaine pour l’avant-dernière saison à Garsington : Fidelio, La Cenerentola et la rarissime Mirandolina de Martinu se partageant l’affiche.