Le soin exceptionnel que met Vincent Dumestre dans ses réalisations musicales comme dans leur présentation est connu, à juste titre. Le programme de ce soir, déjà largement diffusé par le concert et le disque, en sera la plus pertinente illustration, une sorte d’aboutissement. Toutes les pièces seront enchainées harmonieusement (1). La vaste nef de l’église néo-gothique de Sablé, comble, lui offre un cadre acoustique et spatial remarquable. Le large chœur autorisera un placement idéal de chacun, le continuo surélevé, comme le trio de chanteurs, ce dernier placé en arrière, violons et altos (2) jouant debout.
C’est du porche que les voix d’hommes font entendre le plain-chant de Nisi Dominus, bientôt élargi à une polyphonie en faux-bourdon où les trois voix masculines, bien timbrées, équilibrées, font merveille. S’enchainera une déambulation rythmée par les percussions, conduite par le chef, à la guitare baroque, suivie par tous les musiciens se rendant dans le chœur, fondée sur la première des laudes de ce soir (Giesù diletto sposo, de Soto). La jubilation collective est communicative, que nous retrouverons en bis, pour la sortie des artistes. Les éclairages, subtils et efficaces, souligneront opportunément l’originalité de chacune des pièces, voire des mouvements, et participeront à l’émotion de l’auditeur. Appartenant au même genre, mais d’un caractère foncièrement différent, O Vergin Santa, de Serafino Razzi. Avec Francesco Soto, castrat espagnol engagé à la Chapelle Sixtine, celui-ci s’illustra par la production de laudes, particulièrement liées à la dévotion populaire de l’Italie baroque. Moment de grâce et d’émotion que celui où les voix de Marie Théoleyre et d’Eva Zaïcik vont se répondre, puis se conjuguer, dans l’entrelac des diminutions virtuoses et discrètes des deux violons placés à leur côté. Le caractère répétitif, voire obsessionnel, de ces musiques populaires constitue la face cachée de ce baroque foisonnant qu’illustrent ensuite Locatelli et Vivaldi, de toute autre manière.
Locatelli écrit sa Sinfonia funebre à la disparition de son épouse. Sombre, dramatique, contrasté, le largo initial est suivi d’un alla breve fugué, puis d’un grave avant le finale, non presto. La direction de Vincent Dumestre, retenue comme animée, sculpte les phrasés, accuse les contrastes et construit le discours. On ne présente plus Eva Zaïcik, ni ses qualités bien connues, d’émission, de longueur de voix et de phrasé, d’articulation comme de vélocité. De Vivaldi, le motet guerrier Invicti Bellate, où un ample récitatif sépare les deux arie (presto, et larghetto), est propre à lui permettre de faire valoir toutes les facettes de son art. Admirable de bout en bout, l’alleluia conclusif, virtuose, nous éblouit par son aisance. De Razzi, O dolcezza, confié aux trois voix d’hommes, auxquelles répond l’angélique soprano, renoue avec les laudes. La Sinfonia al Santo sepolcro de Vivaldi, commencée dans l’obscurité, va se poursuivre dans la pénombre. Le programme s’ouvrait sur le Nisi Dominus de plain-chant. Il s’achève opportunément par le même psaume, magistralement illustré par Il prete rosso. Bien connu des amateurs de musique baroque, souvent illustré, par les plus grandes voix, on le retrouve ce soir servi par des interprètes hors du commun, qu’il s’agisse du Poème harmonique ou de notre grande mezzo. Tout est juste et l’émotion ne se démentit jamais. Le Cum dederit, berceur, confiant, produit toujours son effet. On retiendra aussi le Gloria Patri, où la viole d’amour de Fiona Poupard se marie à la voix d’exception de notre soliste.
Si on pouvait redouter d’une formule dont le succès ne se dément pas depuis quatre ans à la fois une forme de routine, comme l’affirmation de certaines tournures interprétatives, le renouvellement de l’ordre des pièces, la qualité exceptionnelle de la spatialisation, des éclairages, et – surtout – d’interprètes aussi investis que s’il s’agissait d’une première ont ravi un public enthousiaste. Celui-ci, qui a retenu ses applaudissements tout au long du concert, acclame longuement les artistes, et se voit récompensé par la reprise de Giesù diletto sposo (Soto), qui va conduire chanteurs et instrumentistes du chœur à la nef, pour une sortie appréciée.
(1) Y compris lorsque les musiciens doivent se réaccorder, avant le Nisi Dominus, c’est toujours de la musique. (2) Choix délibéré de Vincent Dumestre ? Les violons et altos sont – à l’exception d’un altiste – exclusivement de jeunes femmes, huit, comme celles que dirigeait Vivaldi à l’Ospedale della Pietà.