Initialement intitulé l’Œil crevé, cet opéra-bouffe change de nom et devient à sa création en 1867, V’lan dans l’œil. Du compositeur Louis-Auguste-Florimond Ronger dit Hervé, cet ouvrage fut à l’époque un énorme succès. Peu à peu oublié du répertoire, il nous revient sur la scène du Grand Théâtre grâce à une coproduction de Bru Zane France, de l’Opéra national de Bordeaux et de l’Opéra de Limoges. Auteur d’une centaine d’ouvrages, seule une petite poignée d’œuvres d’Hervé est régulièrement montée sur les scènes françaises. Aussi, la programmation de V’lan dans l’œil était très attendue du public.
Malheureusement la situation actuelle liée à la pandémie sanitaire a interdit toutes les représentations prévues ces jours-ci sur la scène bordelaise. Les répétitions des artistes et le travail des équipes techniques étant très avancés, les coproducteurs ont décidé de réaliser une captation d’une représentation donnée à huis clos pour une diffusion prochaine sur France 3. C’est la Société Oxymore Productions qui est chargée de la réalisation.
L’intrigue et le dénouement de cet ouvrage sont pratiquement inexplicables. Plongé dans un tourbillon de couplets légers et endiablés, d’imposants décors mobiles, de costumes loufoques et de lumières aux néons colorés, le tout dans une mise en scène déjantée de Pierre-André Weitz, le spectacle est sûr de plaire aux téléspectateurs. On peut vraiment parler de travail d’équipe ou de troupe. Tous les protagonistes se connaissent très bien et ont déjà travaillé ensemble dans d’autres productions lyriques. En occupant tout l’espace, les artistes habités par leur personnage, semblent fonctionner comme des piles électriques vivantes. Ce rythme effréné se prête vraiment à l’œuvre qui demande une communion de surréalisme et de bouffonnerie. Le metteur en scène a su utiliser toutes les ficelles du visuel et cela fonctionne. Tout tourne, tourne, tourne… tout danse, danse, danse… comme dirait Jacques Offenbach, le rival et ami d’Hervé.
Les chanteurs-acteurs offrent des moments savoureux pleins d’humour comme l’air de la « langouste » ou de la « menuiserie » ou encore celui de l’entrée de la Marquise. Les textes de ces couplets surréalistes gardent toujours leur modernité. Conditions sanitaires obligent, les artistes du Chœur ont pris place dans la salle, sur les premières hauteurs. Cette disposition apporte une dimension assez exceptionnelle à l’harmonie musicale de l’ouvrage et à la théâtralité de l’action scénique. Leurs voix forment une enveloppe globale efficace et séduisante. On finirait presque par rêver de représentations lyriques avec les chœurs répartis dans les hauteurs du théâtre. Le seul bémol de cet opéra-bouffe est celui du livret parlé. Quelques grandes coupes auraient été les bienvenues surtout sur certains monologues assez fastidieux à l’écoute. Il est dommage que le rythme endiablé soit brusquement coupé par des interventions de textes assez usés et criés. Dans la fosse avec sa quarantaine de musiciens, Christophe Grapperon à la tête de l’Orchestre National de Bordeaux Aquitaine apporte toute l’énergie aux galops musicaux rappelant l’esprit et la légèreté de l’époque. On aurait bien tapé des mains et des pieds avec lui.