Voici quatre ans, presque jour pour jour, Elina Garanca, encore inconnue, interprétait au Théâtre des Champs-Élysées une Cenerentola particulièrement remarquée. L’année suivante, elle était Dorabella à Aix puis à Garnier dans la production de Patrice Chéreau. Depuis elle s’est beaucoup produite, notamment en Autriche et en Allemagne, et a rapidement conquis ses galons de star. Elle revient aujourd’hui sur la scène de ses débuts en France pour un récital dans la série des Grandes Voix avec un programme dont le fil conducteur pourrait être l’Espagne, n’était la présence d’extraits de Roberto Devereux et des Capuleti, sans doute un avant-goût de son prochain album consacré au bel canto.
L’air de Sara, donc, ouvre le récital. On ne saurait contester l’originalité de ce choix, cependant ce n’est pas la page la plus inspirée du compositeur bergamasque et quitte à chanter un air de Donizetti, pourquoi n’avoir pas proposé un extrait de La Favorite, par exemple, qui aurait eu en outre le mérite d’être en accord avec le thème de la soirée ?
Plus convaincante est la scène d’entrée du Roméo de Bellini qui met en valeur les qualités de la mezzo lettone : timbre chaud, voix longue, homogène sur toute la tessiture, et capacité à nuancer, indispensable dans ce répertoire. Elina Garanca campe un Roméo juvénile et déterminé, avec une ligne de chant d’une grande élégance, à mille lieues de ces mezzos aux graves exagérément poitrinés qui entachent la discographie de l’œuvre(1).
Enfin, les trois extraits de Carmen constituent le sommet de ce récital : Voilà une gitane fière et racée avec ce qu’il faut dans la voix de sensualité et une diction parfaitement intelligible. Ni trop sophistiquée ni vulgaire cette interprétation se situe dans la lignée de celle d’une Berganza avec des moyens autrement plus imposants. Elina Garanca chantera ce rôle à Londres à la fin de l’année et à Vienne en 2010. Sans doute, dans la cadre d’une production elle parviendra à se départir d’une réserve de bon aloi qui semble lui être naturelle.
La seconde partie du concert est dédiée à la zarzuela, un répertoire qui aurait permis à la cantatrice de « se lâcher » un peu. Vêtue d’une somptueuse robe rouge, Elina Garanca demeure pourtant sur son quant-à-soi comme en témoigne la Canción española de Pablo Luna, joliment chantée mais sans l’humour espiègle que savait y mettre jadis une Caballé. Rien à redire cependant sur le plan vocal, l’espagnol est parfaitement maîtrisé et l’interprétation soignée, notamment dans la Canción de Paloma de Barbieri qui permet à la chanteuse d’exhiber un aigu rond et puissant.
Les bis proposés nous laissent sur notre faim : l’inépuisable « Granada » et le « Marechiare » de Tosti n’apportent rien de plus à la gloire de la cantatrice.
Le programme du concert présente Karel Mark Chichon comme « l’un des plus brillants chefs d’orchestre de sa génération ». Qu’il nous soit permis de ne pas partager cette opinion : en début de soirée l’ouverture du Barbier de Séville paraît bien scolaire et un tantinet bruyante. Les choses se gâtent avec un prélude de Carmen tonitruant et pénible pour les tympans. Le choix du Capriccio espagnol de Rimski-Korsakov était judicieux pour ouvrir la seconde partie, encore eût-il fallu que son exécution ne soit pas désordonnée et clinquante. Que dire enfin de ce « Tico-Tico » en bis, qui sonne comme une musique de bastringue ?
Au final, une belle chanteuse dotée d’un potentiel vocal évident dans un environnement pour le moins contestable.
(1) Elina Garanca a gravé pour DGG une intégrale des Capuleti qui devrait paraître au printemps prochain. Anna Netrebko lui donne la réplique en Giulietta.