Les reprises se suivent et se ressemblent à l’Opéra de Paris lorsqu’elles ne sont pas boostées par une distribution exceptionnelle. « Luxueuse routine » titrait Christian Peter à propos de La Bohème selon Jonathan Miller il y a quelques semaines, avant qu’Angela Gheorghiu ne vienne jeudi dernier rallumer le feu (voir brève du 28 mars). Nous serions tenté de laisser tomber le même couperet sur cette Italienne à Alger présentée pour la première fois au public parisien en 1998 et resservie une énième fois cette saison.
Non que le spectacle ait vieilli. Eunuques dodus, marins bodybuildés, canapé lippu : les gags (sur)abondent.
Non que la direction d’orchestre ne remplisse son office. Soir de première oblige, quelques décalages empêchent les ensembles de tourner à plein régime mais seules les oreilles les plus exigeantes s’en plaindront. Riccardo Frizza prend la musique de Rossini au sérieux. Tant mieux. Lui faut-il pour autant renoncer à toute fantaisie ?
Non que les chanteurs déméritent mais tout de même… Ildebrando d’Arcangelo ne se présente pas à son avantage dans une partition envisagée à la mesure de Filippo Galli, le créateur du rôle de Mustafa (dont le programme soit dit en passant nous propose sous la plume de Dorian Astor un portrait accompli). Le timbre est engorgé et les ayatollahs de la fioriture déploreront l’approximation des vocalises. Le malaise est aussi scénique. Le bey ne semble pas apprécier les mascarades auxquelles le contraint l’œuvre. Ni amusant, ni pitoyable, pas même détestable, il est absent.
S’il se plie davantage aux pitreries de Taddeo, Tassis Christoyannis n’est guère plus convaincant. Ce Macbeth halluciné, ce Don Giovanni insolent bute sur un rôle a priori moins exigeant mais trop éloigné de sa personnalité, et le style demeure étranger à sa vocalité.
Jamais deux sans trois. Varduhi Abrahamyan ne tient les promesses de son Isabella que le temps d’un « Per lui, ch’adoro » habillé d’une étoffe somptueuse. L’italienne fait sinon pale figure, question là encore de de chant – les coloratures rossiniennes ne sont pas seulement des notes, il faut leur donner un sens si l’on veut qu’elles fassent leur effet – et de tempérament. N’est pas comique qui veut.
Bref, enfermé dans cet écrin de luxe, l’on s’ennuierait ferme si Antonino Siragusa ne venait d’une voix tonitruante ébouriffer la soirée. Le ténor rappelle au passage deux ou trois règles sans lesquelles le chant rossinien ne serait que l’ombre de lui-même : la variation des reprises, le souci des nuances sans oublier la condition nécessaire à l’excitation que peut procurer cette musique : la prise de risque. L’applaudimètre récompense à juste titre ce Lindoro à la fois tendre et fripon. Tout comme il salue l’interprétation d’Haly par Nahuel di Piero. Son « Le femmine d’Italia » est envoyé avec la réjouissante probité d’un chant presque trop noble pour un subalterne. Mais de même qu’une hirondelle ne fait pas le printemps, une aria di sorbetto ne peut suffire à une représentation d’opéra.