Le Royal Opera House ouvre sa saison en fanfare avec le Prologue du Ring des Nibelungen de Wagner. Un cycle qui s’étalera sur quatre saisons. Barrie Kosky signe la réalisation scénique et Antonio Pappano s’engage dans sa dernière grande entreprise avec la première institution lyrique britannique ; un projet qui l’emmènera donc au-delà du terme de son mandat, prévu en 2024.
La première réussite est d’ailleurs musicale : le temps de répétition alloué par la fin de l’été et l’absence du ballet à l’affiche aura permis un travail méticuleux avec l’orchestre. Dès l’ouverture on admire la cohésion d’ensemble d’une masse orchestrale qui gagne en puissance et brillera dans chacune des transitions de ce prologue. Antonio Pappano cisèle les leitmotive et leur imbrication avec art, en même temps qu’il accompagne son plateau de son sens du drame musical. Tout cela est des plus prometteurs pour la suite de ce Ring.
Tout aussi prometteuse s’avère la proposition de Barrie Kosky, qui, sans chercher d’innovation à tout prix, coche toutes les cases d’une production à la fois moderne et attentive tant à la lettre qu’à l’esprit du Ring. Les quelques écarts au livret se justifient pleinement. Ainsi, ce n’est pas le Rhin que l’on retrouve passée l’ouverture mais l’Arbre du monde, assez mal en point. Carcasse calcinée et fracassée par la foudre, cette souche creuse ne quitte pas la scène et offre nombre de solutions scénographiques, en même temps qu’elle constitue un décor spectaculaire tout à fait à propos pour la Tétralogie. L’or, c’est la sève que l’on extrait sans se soucier de la finitude de la ressource. Erda, présente en scène de manière continue par le truchement d’une actrice à la silhouette vieille et chétive, erre comme une Pachamama exténuée. Les dieux ne songent qu’au pouvoir que la sève leur confère, Alberich veut les supplanter par son exploitation industrielle dans une terrifiante scène du Nibelheim où les seaux de liquide doré s’entassent sur le proscenium. Freia s’y retrouvera plongée comme dans un bain de jouvence. Le metteur en scène n’oublie pas les éléments comiques : l’humiliation d’Alberich par les filles du Rhin ou encore les dieux grimés en festivaliers en goguette à Glyndebourne, panier picnic compris… s’il était besoin de rappeler la possible veine marxiste du chef-d’œuvre wagnérien. Que fera le metteur en scène de cette lecture du Ring comme d’une Anthropocène ? A l’issu de ce Rheingold en tout cas, l’on a hâte d’en voir plus.
Le plateau réuni, enfin, rejoint l’excellence que l’on attend d’une grande maison d’Opéra. Les trois filles du Rhin ouvrent le cycle avec poésie et justesse. Insung Sim (Fasolt) et Soloman Howard (Fafner) présentent les deux visages antinomiques des Géants : le premier romantique et tendre quand le second s’avère bourru et colérique. Rodrick Dixon (Froh) et Kostas Smoriginas (Donner) parviennent à rendre crédibles deux divinités le plus souvent réduites à l’impuissance. Wiebke Lehmkul confirme l’excellence de son Erda, mystérieuse et sonore. Kiandra Howarth (Freia) et Marina Prudenskaya (Fricka) paraissent plus en retrait, la première sûrement à cause de la brièveté de ses interventions et la seconde du fait d’une diction relâchée. Les deux ténors se complètent, eux, à la perfection. Brenton Ryan compose un Mime veule à souhait assis sur un timbre mat. Sean Pannikar s’ingénie à muer la rondeur du sien en accents nasaux et en raucités afin de coller à la duplicité de Loge. Son jeu scénique, de tout premier ordre, en fait un des triomphateurs de la soirée pour ses débuts au Royal Opera House. Enfin les deux clés de fa dominent le plateau, tant par le style d’un sprechgesang expressif et théâtral, que par des moyens wagnériens tout à fait idoines. Christopher Purves louvoie des lamentations pathétiques aux éructations avec une aisance confondante. Christopher Maltman se révèle d’une endurance sans faille. Son diseur de Wotan ne redoute aucune embardée de l’orchestre et annonce, lui aussi, le meilleur pour les journées à venir.