Après un prologue engageant, le Ring imaginé par Stefan Herheim au Deutche Oper se grippe. Die Walküre ne tient pas les promesses de Das Rheingold. Abandonnées, les valises s’amoncellent dans le Walhalla. Du piano ne surgit plus la moindre image mémorable. Les voiles ont perdu leur pouvoir suggestif. Le metteur en scène aurait-il grillé ses cartouches ? Afin d’animer la longue succession de duos qui forme la première journée de la Tétralogie, Stefan Herheim ajoute des éléments étrangers au drame sans convaincre du bien-fondé de ses intentions. Le fils sauvageon d’Hunding et de Sieglinde rode autour des jumeaux incestueux. Devenu encombrant à la fin de l’acte, sa mère l’égorgera sans plus de sentiments. Les migrants entrevus au Prologue deviennent les spectateurs muets du bras de fer entre Fricka, Wotan et Brunnhilde sans que leur présence ne se justifie d’une quelconque manière. Ils reviendront au troisième acte, toujours aussi inutiles, assister aux adieux du père et de la fille. La représentation de l’accouchement de Sieglinde – sur le piano, il va sans dire –, a le mérite de faire le lien avec la suite de l’épopée mais l’inconvénient de parasiter l’embrasement final. Et comment expliquer que les héros du Walhalla violentent les Walkyries lors de leur chevauchée si ce n’est par la volonté d’introduire sur scène un mouvement coûte que coûte, au détriment de la cohérence dramatique. Reste que le geste, même gratuit, n’altère jamais la lisibilité de l’intrigue et qu’il s’exerce toujours en accord avec la musique. Un indice pour les épisodes à venir : la salle jusqu’alors plongée dans le noir s’éclaire lorsque Wotan clame son fameux « Das Ende… ». Le monde d’aujourd’hui soudain mis en lumière représenterait-il la fin prophétisée par le dieu ?
Si cette première journée ne remplit pas son office, c’est aussi en raison de la direction d’orchestre. Comme la veille, Donald Runnicles refuse d’assumer le lyrisme de la partition. Les musiciens du Deutsche Oper ne sont jamais aussi stimulés – et stimulants – que dans les climax orageux. L’équilibre, la dynamique, le dosage des contrastes, la gestion du crescendo sonore, du pianissimo au fortissimo, demeurent les points forts de la lecture musicale. C’est beaucoup mais ce n’est pas assez pour enfiévrer les étreintes de Siegmund et Sieglinde et allumer le feu autour de Brunnhilde endormie.
© Bernd Uhlig
Autre déception, les voix. Certes, les huit Walkyries affichent une entente exemplaire. Annika Schlicht confirma qu’elle est une Fricka de grande classe – et sera acclamée au tomber de rideau en conséquence. La scène de ménage avec Wotan, souvent critiquée pour son vain bavardage, n’accuse pas la moindre longueur lorsque, comme ici, la ligne de chant ne concède rien à l’expression. A l’égal de Fafner la veille, Tobias Kehrer tire Hunding vers le haut, à se demander comment Sieglinde peut envisager de renoncer à un tel timbre et un tel legato. Mais ces deux-là n’occupent pas assez le devant de la scène pour compenser les insuffisances des premiers rôles.
Malgré une vaillance et une longueur de souffle appréciable lorsqu’il s’agit de tenir les « Wälse » au-delà du raisonnable, Daniel Frank ne peut offrir à Siegmund qu’un timbre de fer blanc, un chant plat et une émission nasale qui privent le Walsung de son éclat farouche. Elisabeth Teige n’a ni la chair, ni l’ampleur requis par les élans lyriques dont Wagner a gratifié Sieglinde. Iain Peterson est ce Wotan dont Rheingold dénonçait les lacunes, impuissant à s’affirmer face à Fricka puis à habiter les contours sinueux de son monologue. Mais, contre toute attente le baryton s’empare du troisième acte, avec une énergie insoupçonnée, fulmine, menace, châtie, se consume dans des adieux d’une probité exemplaire, puis dissipe ses dernières forces dans l’incantation au feu. De même Riccarda Merbeth, après s’être réfugiée le deuxième acte durant dans un sprechgesang destiné à pallier l’absence de grave et de médium, retrouve ses moyens dans un troisième acte qu’elle habite entièrement avec bravoure, l’aigu dardé, la voix regagnée sur l’étendue de la tessiture, Brünnhilde ressuscitée conquérant des sommets que l’on n’espérait plus.