Lohengrin fait son retour sur la scène du Metropolitan Opera après dix-sept ans d’absence, dans une nouvelle production* de François Girard qui avait déjà signé en 2013 un Parsifal mémorable avec Jonas Kaufmann ainsi qu’un Vaisseau fantôme en 2020. Pour sa troisième production in loco le metteur en scène québécois situe l’action dans un univers post-apocalyptique. Les personnages sont enfermés dans un vaste souterrain obscur surplombé par une dalle gigantesque percée d’une large ouverture circulaire qui permet de voir le ciel étoilé, les galaxies et le passage à intervalles réguliers de la lune. Autour, on devine un paysage désert. Au centre de la scène, juste au-dessous de l’ouverture, un escalier grisâtre. Côté cour, un arbre mort dont une souche sert de trône au roi Henri l’Oiseleur. Les décors sont signés Tim Yip, tout comme les costumes d’inspiration médiévale. Les choristes sont vêtus de longues capes noires qui, par un jeu habile d’aimants, s’ouvrent alternativement sur différentes tenues colorées, le vert qui représente le roi, le rouge qui caractérise Ortrud, Telramund et les Brabançons et enfin le blanc, symbole de la pureté d’Elsa et de Lohengrin. Même le chef d’orchestre changera de vêtement d’un acte à l’autre pour être en accord avec ces couleurs. Cependant si l’idée est originale, au bout d’un moment l’ouverture et la fermeture incessante des capes finit par lasser voire provoquer des rires chez les spectateurs lorsqu’un choriste du premier rang se trompe de couleur. La direction d’acteurs est sobre mais précise. L’apparition de Lohengrin dans l’ouverture de la dalle, vêtu d’une chemise blanche et d’un pantalon noir comme les chevaliers du Graal du Parsifal de 2013 crée un lien entre les deux productions. Pas beaucoup d’idées en somme dans ce spectacle qui n’en demeure pas moins efficace, le public ayant en permanence les yeux rivés sur les différents protagonistes qui évoluent sur le devant de la scène.
La distribution, qui n’appelle aucune réserve majeure, comporte quelques uns des meilleurs titulaires de leurs personnages, à commencer par Piotr Beczala qui depuis sa prise de rôle à Dresde en 2016 a mûri son interprétation au point de nous offrir un Lohengrin proche de l’idéal. Tel un être venu d’un autre monde, il évolue avec une démarche et un port de tête d’une rare élégance. La voix homogène et limpide est remarquablement projetée dans le grand duo du trois avec Elsa, l’un des points forts de la soirée, mais le ténor est également capable de produire des sonorités d’une pure beauté notamment dans son « In fernem Land » empreint de nostalgie et nuancé avec une délicatesse infinie. Du grand art. Toute la scène qui suit est déclamée avec une intensité que ne vient troubler aucun signe apparent de fatigue vocale. Pour son premier rôle en allemand au Met, Beczala nous offre une prestation qui fera date.
A ses côtés Tamara Wilson campe une Elsa au timbre pur couronné par un aigu radieux. Dès le premier acte, son « Einsam in trüben Tagen » chanté comme une prière fervente avec une voix diaphane capte l’attention. Tout au long de l’intrigue elle construit avec subtilité un personnage volontaire tiraillé entre son amour pour Lohengrin et les doutes qu’Ortrud distille dans son esprit. L’épouse de Telramund est incarnée avec véhémence par Christine Goerke qui déploie une voix large, riche en couleurs, dotée d’un registre grave sonore et d’un aigu puissant mais parfois acide qui accentue le côté néfaste et inquiétant du personnage. Sa gestuelle et ses mimiques excessives, amplifiées au cinéma par les gros plans, évoquent par moment les sorcières de dessins animés, sa prestation n’en demeure pas moins efficace et saisissante. Evgeny Nikitin impressionne d’emblée par sa forte présence et la noirceur de son timbre. En dépit d’une fatigue vocale perceptible par instant, son Telramund est pleinement convaincant en particulier dans sa grande scène du deux face à Ortrud. Günther Groissböck campe un roi autoritaire et énergique, avec une voix solide qui plafonne cependant dans l’aigu. Enfin le héraut royal de Brian Mulligan puissant et intense ne passe pas inaperçu. Ses moyens sont déjà ceux d’un Telramund, il abordera d’ailleurs le rôle à l’automne prochain à San Francisco.
Soulignons également la magnifique performance des chœurs préparés par Donald Palumbo dont les nombreuses interventions dans cette œuvre sont particulièrement exigeantes.
Au pupitre, Yannick Nézet-Séguin longuement ovationné par le public au salut final mais aussi à chaque début d’acte propose une direction limpide et chatoyante et tire de son orchestre de somptueuses sonorités, en particulier les cordes délicatement onctueuses et les trompettes éclatantes réparties dans la fosse et sur la scène.
Le samedi 1er avril prochain, le Metropolitan Opera retransmettra dans les cinémas du réseau Pathé Live, Falstaff avec dans le rôle-Titre, Michael Volle.
*Signalons pour la petite histoire que ce spectacle était à l’origine une co-production avec le Bolchoï et que la première à Moscou a eu lieu au moment de l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Les décors n’ayant pas été rapatriés le Met a dû les faire reconstruire.