Ring au Deutsche Oper : troisième épisode. Stefan Herheim resserre les fils de sa trame narrative. Moins de digressions visuelles et de corps étrangers. Le livret, rien que le livret, ou presque. Alberich rode sur le plateau plus souvent qu’à son tour – l’attraction de l’anneau sans doute. Quelques figurants applaudissent le réveil de Brünnhilde puis copulent allègrement durant le duo final, histoire de montrer la manière de procéder aux deux héros en quête d’un mode d’emploi, le nez plongé dans la partition – un des gimmicks de la mise en scène. Une partie du public n’a que modérément apprécié la leçon, sanctionnée par une bordée de huée au tomber de rideau. Pour le reste, les leitmotivs scéniques relevés dans les épisodes précédents remplissent leur office. Les valises entassées campent le décor et aidées par la vidéo se transforment en dragon terrifiant. Le piano facilite les entrées et les sorties. Les voiles simulent le feu autour du rocher de Brünnhilde, ou le planisphère lorsque Siegfried part à la conquête du monde, Nothung reforgée en main.
Débarrassée d’interrogations, l’attention peut se concentrer sur l’interprétation musicale. Donald Runnicles atteint dans cette deuxième journée le point d’équilibre qu’on lui reprochait de ne pas avoir trouvé dans les épisodes précédents. Le rapport entre tension dramatique et poésie sonore est préservé. Les murmures de la forêt sont tissés dans une tulle translucide. L’orage au prélude du troisième acte éclate dans un tonnerre de décibels ; le réveil de Brünnhilde aveugle ; et en même temps, le récit avance, animé d’une juste pulsion, vif, fluide, captivant. Un regret : le rôle de l’oiseau confié à un jeune soliste du Knabenchores der Chorakademie Dortmund, valeureux mais engagé dans un rude combat avec la justesse dont hélas il ne sort pas vainqueur.
© Bernd Uhlig
Deux nouveaux personnages occupent le devant de la scène : Siegfried et Mime, ce dernier entrevu dans Rheingold. Deux ténors ; deux typologies vocales différentes ; deux chanteurs formidables. La mise en scène veut le gnome clone de Wagner – pied de nez à l’antisémitisme* du compositeur ? Originaire de Taïwan, Ya-Chung Huang use d’une large palette de couleurs, certaines blafardes, pour caractériser Mime tel qu’on se le figure, pitoyable et répugnant, naïf et machiavélique, victime et bourreau. D’une voix d’acier, Clay Hilley franchit les obstacles dressés sur les pas de Siegfried avec une endurance admirable. Heldentenor évidemment, sans la brutalité que l’on associe parfois à cette typologie, élégant au contraire, attentif au texte, sa clarté, son phrasé, avec pour seul talon d’Achille, un aigu parfois serré – non que la note soit imprécise ou extraite au forceps mais on devine alors des limites sinon imperceptibles. Ultime exploit : le duo final, inéquitable en ce qu’il confronte une soprano au saut du lit à un ténor soumis quatre heures durant à rudes épreuves n’accuse aucun déséquilibre.
Brünnhilde précautionneuse après avoir chanté Sieglinde l’avant-veille, Elisabeth Teige conserve dans la voix ce grelot que l’on peut trouver inadapté au tracé héroïque de la ligne. L’aigu, systématiquement forte, trahit l’effort. Le public ne lui réserve pas moins un triomphe. Iain Paterson reste un Wotan aux pieds d’argile, Tobias Kehrer un Fafner impérial et Jordan Shanahan un Alberich en mal de noirceur. On se demande pourquoi avoir changé d’Erda en cours de route – la déesse était chantée par Lauren Decker dans Das Rheingold –, sauf à considérer l’inégalité des registres de Lindsay Ammann comme marqueur de l’ambivalence du personnage.
* Certaines analyses voient dans le personnage de Mime une caricature du Juif.