Carl Maria von Weber (1786-1826)
Euryanthe
Grand opéra héroïco-romantique en trois actes
Poème de Helmina von Chezy
Version de concert
Production du Capitole de Toulouse
Le Roi Louis : Dimitri Ivashchenko
Adolar, comte de Nevers : Klaus Florian Vogt
Lysiart, Comte de Forest : Tommi Hakala
Euryanthe de Savoie : Mélanie Diener
Eglantine de Puiset : Lauren Flanigan
Rudolph : Paul Kaufmann
Bertha : Catherine Alcoverro
Orchestre National du Capitole
Choeur du Capitole
Direction, Alfonso Caiani
Direction musicale, Rani Calderon
Toulouse, le 24 janvier 2010
Weber l’enchanteur
Opéra mal aimé des scènes à cause d’un livret peu vraisemblable – mais combien d’œuvres à succès devraient alors subir le même sort ? – Euryanthe est incontestablement un chef d’œuvre musical. C’est l’évidence rappelée avec éclat par cette version de concert.
Dès les premières mesures le pouvoir de suggestion de la musique subjugue : c’est un cortège d’images colorées qui composent une atmosphère d’enluminures, impression qui révèle sans autre analyse la dette des successeurs de Weber à son égard quant aux évocations médiévales. D’emblée sont posées les bases du récit d’une légende édifiante, et les thèmes successifs sont autant d’indications sur les climats liés aux péripéties et aux émotions des personnages. Défilés fastueux, réunions festives, frustrations, jalousies, défis, complots, espoirs, angoisses, foi jurée, monstres de l’au-delà, justice immanente, triomphe du droit et reconstitution du paradis, la musique dit tout, avec une luxuriance mélodique qui éblouit et une efficacité qui fait mouche.
Sans doute y a-t-il, dans le plaisir de l’auditeur, celui de reconnaître des couleurs, des courbes mélodiques, le style du compositeur du Freischütz, dans son époque et dans sa postérité, wagnérienne, voire berliozienne. Mais si ce mélange des souvenirs et des sensations sonores donne un plaisir si intense, c’est par l’intermédiaire des interprètes rassemblés sous l’autorité de Rani Calderon. On sent dès l’ouverture, au lyrisme vibrant mais soigneusement contrôlé, que ce jeune chef s’est donné pour mission de servir une partition dont il respecte l’organisation. Ainsi, même privés de la représentation, les spectateurs peuvent percevoir clairement la progression dramatique par un dosage précis des volumes sonores excellemment réussi, qui n’enlève rien, par exemple, à l’intensité de l’acte II, où les méchants mettent à nu leur âme, ou aux éclats du chœur des chasseurs au troisième acte, mais conserve au tableau final son caractère unique d’apothéose. L’orchestration met en valeur tous les pupitres, qu’il s’agisse des vents, des cuivres (cors particulièrement sollicités) et de leurs effets en coulisse, des timbales, des cordes (violoncelles et contrebasses) tous réactifs et souples. Oui, c’est peut-être la souplesse qui définit le mieux la direction de Rani Calderon, celle-là même que Weber avait voulu pour son opéra allemand « nouveau style » et qui donne à sa musique, au-delà des temps forts et des épanchements mélancoliques, un allant au charme irrésistible.
Trois rôles féminins : Bertha la jeune femme, Eglantine la suivante et Euryanthe l’héroïne. Artiste des chœurs, Catherine Alcoverro incarne joliment la première dans sa scène unique au dernier acte. Laura Flanigan est la cruelle Eglantine, à qui Weber a malicieusement attribué les passages ornés à l’italienne ; dans sa robe aussi noire que son âme elle exprime aussi bien la douceur feinte que la rage et les angoisses du personnage, d’une voix sûre, incisive, longue et pleine. Sa performance fait pâlir l’Euryanthe de Mélanie Diener. Sans doute ce personnage de victime manque-t-il de relief, mais ce n’est pas ce qui justifie la justesse approximative de la cavatine d’entrée, des aigus précautionneux et une projection sans éclat. La prestation s’améliore cependant au troisième acte, le plus exposé. Chez les hommes Paul Kaufmann s’acquitte honorablement du rôle épisodique du chevalier Rudolf. Son suzerain, le Roi Louis, trouve en Dimitry Ivashchenko un interprète élégant, digne sans être pesant. Dans le rôle de Lysiart le méchant cumulard (envieux, traître, calomniateur, usurpateur, damné en puissance), le baryton Tommi Hakala, remarquable d’intensité expressive dans sa grande scène du deuxième acte, séduit par son engagement malgré un vibrato par instants marqué. Klaus Florian Voigt, enfin, est Adolar, un personnage primaire, voire sommaire; un reste de rhume modifie à peine la couleur des aigus extrêmes mais ne nuit en rien à la franchise et au contrôle de l’émission, qui prend des suavités de ténor di grazia pour son air d’entrée et devient celle d’un heldentenor dans les scènes d’affrontement, suppléant ainsi superbement l’absence de complexité psychologique par la subtilité musicale.
C’est cette qualité d’interprétation, à laquelle il faut associer sans réserve les chœurs, sollicités si souvent et à la ductilité si impressionnante, qui a fait de ce programme une si belle réussite. Mais au-delà des interprètes on voudrait croire que ces ovations s’adressaient aussi à Weber, génie privé de sa portion congrue. On attend avec impatience d’en savoir plus sur la suite annoncée par le nouveau directeur du Théâtre du Capitole, Frédéric Chambert.
Maurice Salles