L’actualité est dense en cette fin d’année pour la compagnie l’Aurore Boréale. A Paris, après Denis Lavant dans Cap au pire, on peut applaudir Sandrine Bonnaire dans l’Amante anglaise tandis que l’opéra de Rennes reprend les Sept Péchés capitaux crées en 2021 au théâtre de l’Athénée et avant le théâtre de Caen l’année suivante.
Le chef Benjamin Levy accompagne chaque reprise du spectacle, il obtient le meilleur de l’orchestre National de Bretagne tout en nuances et en délicatesse, dans une formation quasi chambriste qui met en valeur les individualités. Oscillant entre âpreté et sensualité, le travail des couleurs réjouit l’oreille.
Le directeur de la compagnie, Jacques Osinski, en est également le metteur en scène. Il propose ici une lecture toute en sobriété de la charge de Brecht et Weill contre la société de leur époque. La proposition est actualisée par les costumes de Hélène Kritikos et les vidéos de Yann Chapotel. Ce dernier signe également la scénographie : un échafaudage soutient l’écran servant au surtitrage. Y défilent les évocations des villes explorées par Anna au cours des sept années de son périple en quête d’une fortune qu’elle doit amasser pour sa famille restée au pays afin de construire un nouveau foyer. Ces sept stations sont autant d’occasions d’explorer un nouveau péché. Les images sont volontairement assez peu séduisantes, voire franchement laides – comme celles illustrant la gourmandise.
L’histoire est celle d’une déréliction, violence d’une famille instrumentalisant l’un de ses membres, violence de la société pervertissant l’innocence. Thème connu, rebattu à plaisir sur les plateaux lyriques.
En fond de scène, Guillaume Andrieux, Florent Baffi, Manuel Nùñez Camelino et Camille Tresmontant composent cette lignée malsaine réfugiée derrière sa bien-pensance. Le quatuor masculin – remarquablement équilibré, très articulé – fait merveille, en particulier dans les passages parodiant le répertoire sacré, alors même que l’argent est le vrai dieu auquel chacun sacrifie.
Fidèle au livret de Brecht, le personnage d’Anna est un Janus aux deux visages. La danse et le chant donnent à voir ce dédoublement qui évoque puissamment celui du phénomène de dissociation expérimenté par les victimes d’agressions ou de traumas. Le corps instrumentalisé est celui Noémie Ettlin, danseuse pleine de grâce et de sensibilité.
On ne sait trop si la chanteuse, pour sa part, incarne l’obéissance à la famille, le surmoi, la raison ou l’âme du personnage. Natalie Pérez lui prête en tout cas une sincérité, une simplicité assez bouleversantes. Les medium et les graves, très sollicités, sont libres, jamais forcés; les aigus faciles; les registres sont bien unifiés, le phrasé d’une grande expressivité. Les célèbres chansons ajoutées au texte original – comme « Je ne t’aime pas », refusant les effets faciles – sonnent magnifiquement d’intensité retenue. Avec « Youkali » explose la sensualité du timbre dans un pas de deux prenant. Ce dernier ramène Anna jusqu’à sa Louisiane natale, dans ce foyer fantasmé pour lequel tout a été sacrifié, qui n’est pourtant qu’une masure décatie et abandonnée, à l’image de l’âme de l’héroïne ravagée par les compromissions. L’amertume du propos est patente, la pondération des choix artistiques, leur pertinence lui donnent une force singulière.